La trop fameuse prophétie warholienne se trouve enfin accomplie : chacun a droit à son quart d’heure de célébrité, mais… uniquement dans la peau de John Malkovich. Une restriction apportée au concept qui fait toute l’originalité du film de Spike Jonze.
Craig (John Cusack), marionnettiste au chômage, trouve le pantin idéal en la personne de John Malkovich lorsqu’il découvre par hasard une porte qui mène tout droit à l’intérieur du cerveau de l’acteur. En empruntant un tunnel, on en devient le locataire très provisoire (un quart d’heure seulement) et l’on voit le monde à travers ses yeux, avant d’être éjecté et de se retrouver dans un fossé près d’un péage du New Jersey. L’argument de départ ingénieux subit alors toutes les variations possibles et s’ensuit une des comédies les plus réussies de ces dernières années (seul petit reproche, le réalisateur, convaincu à raison qu’il est de détenir une idée en or, exploite le filon. Résultat : le film patine un peu vers la fin, et le scénario se réduit alors aux pirouettes sentimentales de Maxine qui permettent à l’intrigue de rebondir). L’acteur se laissera abuser à des fins mercantiles bien contre son gré, chacun voulant faire son petit tour de « manège-Malkovich ». Il fera surtout l’objet de toutes les convoitises de Craig et de sa femme, Lotte (Cameron Diaz), son corps devenant un médium pour assouvir leur fantasme commun : coucher avec Maxine (Catherine Keener), la séduisante collègue de Craig. Maxine désire Lotte mais uniquement lorsqu’elle se trouve dans le corps de John, Maxine croit coucher avec Lotte mais en réalité c’est Craig qui a pris sa place, bref un triolisme virtuel particulièrement réjouissant.

En devenant perméable au monde extérieur, Malkovich en devient le révélateur. Désir d’être quelqu’un d’autre, ambiguïté sexuelle, tendance à la schizophrénie, autant de questions qui auraient pu produire un casse-tête philosophique mais dont résulte en réalité un film délirant. Spike Jonze joue constamment sur le décalage entre une réalité des plus banales et l’irruption de scènes fantastiques. Certaines d’entre elles sont de véritables petits courts métrages à l’intérieur même du film (voir par exemple le moment où John Malkovich entre dans son propre cerveau et ne rencontre que ses clones qui n’ont qu’un mot à la bouche : « Malkovich, Malkovich, Malkovich ! »). Drôle, surréaliste, Being John Malkovich est un film atypique d’une rare intelligence.