Révélé par son long métrage Ossos (1997), Pedro Costa fait partie de ces jeunes réalisateurs portugais à suivre de près. Après avoir tiré un magnifique portrait du couple Straub-Huillet pour la collection Cinéma de notre temps (1999), le cinéaste continue sur sa lancée documentaire avec Dans la chambre de Vanda, un reportage fleuve sur un quartier de Lisbonne en voie de démolition. Il y retrouve pour l’occasion Vanda Duarte, l’actrice d’Ossos, qu’il suit dans son quotidien jusqu’à pénétrer donc dans l’intimité de sa chambre.

Dans la chambre de Vanda fait partie de ces films qui n’auraient peut-être pas pu se faire sans l’apport de la DV, sa discrétion et son extrême maniabilité. C’est elle sans doute qui permet à Pedro Costa de s’immiscer dans les ruelles labyrinthiques du quartier et d’intégrer l’existence de ses habitants dont il tente de suivre les faits et gestes au jour le jour. Ce qui revient en fait à assister aux trips d’héroïne de Vanda et sa sœur, mais aussi aux nombreuses séances de fixes entre les autres occupants des appartements abandonnés, en grande majorité squattés par des junkies. En restant constamment en dehors de l’action qu’il se borne à capter, sans mot dire, avec sa caméra, Pedro Costa nous livre une vision terrifiante de réalisme d’un univers presque apocalyptique. La longueur du film (un peu moins de trois heures !) laisse le temps au quotidien de prendre toute son ampleur tragique. La répétition obsédante des gestes des drogués en dit ainsi dix mille fois plus long sur leur état de dépendance que n’importe quel discours de prévention. C’est pourquoi l’on ne commettra pas le tort d’accuser Pedro Costa de faire preuve d’empathie avec son sujet qu’il ne cautionne ni ne juge.

Ces considérations morales écartées, reste à évoquer la beauté plastique de Dans la chambre de Vanda qui nous rappelle que Costa n’est pas seulement un documentariste doué mais aussi un cinéaste virtuose. D’abord parce qu’il sait tirer parti de son décor (les ruines d’un quartier qui prend des allures de bidonville), de ses potentialités dramatiques et esthétiques. Puis, surtout, parce qu’à l’instar d’un Pasolini filmant en gros plan les visages burinés des paysans italiens, il parvient à saisir la beauté dans ce qu’elle a de moins évident. Il sauve ainsi son film de la surenchère glauque évitant par là même les dérives voyeuristes du reportage télé. Son regard de cinéaste rend alors un peu de leur humanité à ces êtres en voie de perdition.