Déjà remarqués avec leur précédent film, le moyen métrage Ceci est une pipe, journal intime expérimental à quatre mains et deux voix, Pierre Mario Bernard et Pierre Trividic continuent d’explorer leur vie de couple via leur art avec Dancing. Cette fois, l’intimité est convoquée à partir d’un récit entremêlant science-fiction et art contemporain, mixe pour le moins déconcertant qui fait de Dancing une oeuvre singulière, presque un ovni dans le paysage du cinéma français. Artiste plasticien, René vit et travaille chez son compagnon installé dans un dancing désaffecté. Alors qu’il doit préparer une installation pour une galerie, il tombe un jour sur la photo de deux clowns bizarres qui le fascine de suite. De plus en plus obsédé par cette image, René perd petit à petit pied avec la réalité jusqu’à se retrouver un beau jour face à son double. Ce qui fascine d’emblée avec le film de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, ici aidés d’un troisième larron, Xavier Brillat, c’est son climat d’inquiétante étrangeté créé à partir de presque rien : un décor insolite bien exploité et un jeu de lumières d’une grande beauté (encore un exemple des possibilités esthétiques de la DV). Variante intello-gay du bon vieux thriller, Dancing ne surprendra pourtant pas trop ceux qui connaissent l’oeuvre de Bernard et Trividic, auteurs d’un passionnant documentaire sur Lovecraft pour la série Un Siècle d’écrivain, Le Cas Lovecraft (1998).

Mais réduire Dancing à une seule trame serait limiter la portée d’un film dont l’intérêt principal réside justement dans sa propension à s’aventurer dans plusieurs directions. Dancing gagne en densité à demeurer dans l’énigme tant son champ d’investigation semble vaste : délire loufoque sur les théories de la physique quantique, journal de bord d’une performance artistique en cours, plongée dans les insondables angoisses liées à la vie de couple, film de maison hantée, Dancing aborde tous ces possibles narratifs sans vraiment opter pour l’un d’eux. A chacun de trouver son sens… Car ce qui impressionne surtout, c’est la capacité des trois réalisateurs à esquisser différentes pistes pour façonner cet objet protéiforme empruntant autant au réel (la vie intime de Bernard et Tridivic qui se filment en train de faire l’amour) qu’à l’imaginaire (les interventions impromptues du double). Avec leur Dancing azimuté, les cinéastes enrichissent la portée « documentaire » de Ceci est une pipe et transforment leur quotidien en un terrifiant prototype de « home movie » métaphysique.