L’inspecteur Takabe et un psychologue spécialisé sont chargés d’enquêter sur toute une série de meurtres étranges où la victime a systématiquement la gorge incisée en croix par un tueur présumé qui n’est jamais deux fois le même, et que l’on retrouve toujours dans un état de démence avancé. Le spectateur assiste alternativement à l’impuissance de l’inspecteur, contraint d’attendre que ce « virus criminel » se manifeste, et aux déambulations d’un jeune vagabond amnésique que tout le monde s’empresse de secourir tant il semble perdu. Ce jeune homme, faux amnésique et vrai psychopathe, se trouve être à proprement parler le seul assassin du film : ancien étudiant en psychologie, passionné d’hypnose, il parvient à jouer avec le subconscient de ses victimes, et les programme à tuer.

Véritable « thriller analytique », Cure se démarque habilement de la grossière chasse au serial killer, celui-ci n’étant pour le coup qu’un « déclencheur », un génie machiavélique aux mains propres. La flamme d’un briquet, une simple goutte d’eau lui suffisent à perpétrer ses crimes : une femme médecin qui l’ausculte renverse un verre d’eau ; il la force à se concentrer sur les formes que dessinent le liquide sur le sol, puis l’interroge sur son passé d’étudiante en médecine, devine le mal qu’elle a eu à évoluer dans un milieu si hostile aux femmes, l’enjoint à lui en parler, etc. Une heure plus tard, dans une pissotière, la femme se tient à genoux près d’un corps d’homme qu’elle lacère avec un scalpel. D’où le titre ironique de Cure : le meurtre, perpétré au nom de nos démons personnels, peut-il être le moyen le plus sûr de nous débarrasser d’un passé qui nous enchaîne ? En tout cas, la cure classique que suit dans un hôpital la femme de l’inspecteur, atteinte de déficience mentale, n’est d’aucun effet (est-il temps pour elle de passer à quelque chose de plus radical ?). La mécanique criminelle du film, à défaut de nous effrayer, nous interpelle et nous fascine.

Tout le talent de Kiyoshi Kurosawa est d’avoir su filmer des états mentaux plutôt que des meurtres, d’avoir placé le spectateur dans la peau de l’hypnotisé plutôt que dans celle du flic. A l’aide de filtres en tous genres et d’un travail impressionnant sur la lumière et les sons, le cinéaste construit un univers presque flou, couleur de cendre, à travers lequel les formes et les bruits surgissent comme d’inquiétantes altérations de notre perception, comme si nous étions sous l’emprise d’une drogue légère mais tenace, nous permettant tout au plus de rester à l’écoute de ce qui se dit. Kurosawa construit un monde très personnel, entre polar et fantastique, d’une grande puissance sensible. Pourtant, son talent reste au service de l’artifice. Car Cure, malgré sa profonde originalité, est un film purement formel : sans ses solides partis pris esthétiques, il est évident que le scénario croulerait sous le poids de son invraisemblance (d’ailleurs, le cinéaste, vers la fin du film, sent bien les failles de son histoire et cherche lourdement à les expliquer). Par ailleurs, malgré une étonnante maîtrise de l’image et du son, Cure témoigne d’énormes lacunes de découpage. Passer d’un plan à un autre équivaut à bien peu de choses pour le cinéaste, qui accumule les maladresses de montage, oscillant, par le choix de ses coupes, du désagréable au sans intérêt. Le rythme du film, son sens, ne résident que dans un plan à la fois, dans la vie intrinsèque de chaque plan (reproche que l’on pourrait tout aussi bien faire, par exemple, à un film comme Pages cachées de Sokourov). Cure aurait gagné à ancrer son étrangeté et sa beauté dans quelque chose de solide, quelque chose comme notre conscience… Car faire fi du montage, c’est sombrer dans la représentation, c’est refuser au spectateur le droit de penser un film ; tout au plus peut-il « l’apprécier », et en ramener chez lui quelques impressions sans avenir, quelque beauté évanescente. Les plus beaux films sont les films qui durent.