Aujourd’hui, on ne sait plus trop où en est le cinéma hong-kongais. Entre prolongation d’une chute créative vertigineuse, sursauts relatifs de quelques francs-tireurs (Johnnie To, Tsui Hark…), probable retour des maîtres d’hier expatriés à Hollywood (John Woo, Kirk Wong…) et ouverture sur le marché chinois, bienheureux qui pourrait établir un portrait fiable de ce cinéma. A son image, difficile de savoir où veut vraiment en venir Stephen Chow. La plus grosse star comique asiatique révélée au reste du monde avec Shaolin soccer fait aujourd’hui le funambule entre plusieurs statuts, à tel point qu’on ne sait pas trop où ranger Crazy kung-fu. Pour aussi virtuose que soit sa nouvelle extravagance, impossible de lui accoler une étiquette de genre, tant le film joue sur tous les registres, attache bout à bout de multiples genres et références. Un menu à la hauteur de la confusion dans laquelle se trouve le cinéma hong-kongais, se rattrapant à toutes les branches pour rappeler son existence.

Crazy kung-fu est un film flou : vaguement situé dans la Chine prérévolutionnaire des années 20, jusqu’à ce que le lieu quasi unique d’un quartier pauvre en lutte avec un gang mafieux ne convoque autant les Looney tunes que les classiques du kung-fu des 70’s, et que ne se mette en branle une succession de scènes d’actions impressionnantes, réduisant en miettes tout ce décorum. Crazy kung-fu est déstabilisant à osciller en permanence entre jeu de massacre et reconstruction d’icônes populaires ici (entre autres Jackie Chan, Bruce Lee) comme là-bas (une bonne partie du casting est composée de stars de films de la Shaw Brothers), mais surtout à ne pas vouloir mettre en place de scénario clair. Chow laisse clairement sous-entendre qu’à l’heure de la mondialisation, il n’importe plus de raconter quelque chose, l’inconscient collectif lié à des images qui ont fait le tour du monde (Matrix, Shining mais aussi West side story) suffisant à féderer un public extrêmement large. Pour peu qu’on les saupoudre d’effets spéciaux performants, le nouvel opium du peuple spectateur, le résultat peut être un divertissement universel.

Le talent de Chow est pourtant ailleurs que dans ce plan de conquête du public mondial : sous la surface d’un film ultra-spectaculaire, l’acteur-réalisateur parvient à glisser la belle nostalgie d’un cinéma populaire à l’ancienne, entre candeur et aventures épiques. Tout cela fait de Crazy kung-fu un cas unique : résolument moderne dans son économie et son ambition, tout en démontrant par l’exemple que le cinéma, hong-kongais ou autre, c’était mieux avant.