Quand, à des siècles de là, l’humanité émue se retrouvera devant les films d’Eric Rohmer, je ne doute pas qu’alors elle en fasse un nouvel Aristote. Quel étrange arbitraire m’amène à comparer avec le penseur grec le plus sage des cinéastes français, me direz-vous ? Certes, monsieur Rohmer n’a jamais caché son attachement à la discipline philosophique, mais ce n’est évidemment pas là que se trouve la réponse. Il faut plutôt la chercher du côté de l’attention qu’il porte aux choses, des enseignements qu’il tire de cette observation, et de la douce morale qui se dégage de ses fables. Car s’il est un classique parmi les modernes, il est bien celui-là.
La fable, dans ce Conte d’automne, tourne encore (et toujours, mais qui s’en lasserait ?) autour de l’amour. Celui qu’attend sans le chercher Magali, viticultrice d’âge mur, et solitaire après sa séparation d’avec son mari et le départ de son fils. Ceux de Rosine jeune et fraîche étudiante, oscillant entre un petit copain qu’elle n’aime pas et une liaison orageuse avec son ancien professeur de philosophie. Et les hommes n’ont qu’à bien se tenir car, face aux états d’âme du « sexe faible » leurs faiblesses et leurs mesquineries n’auront pas facilement gain de cause.
Délaissant les plages bretonnes, c’est dans les vignobles du centre de la France que Rohmer nous emmène cette fois. Et chez lui, plus que chez d’autres peut-être, le paysage à une autre importance que figurative. Le milieu où vivent ses personnages les imprègne, et leurs actes restent intimement liés à l’influence de la nature qui les entourent. D’où cet attachement aux choses, aux noms des plantes, à la manière de s’occuper de la vigne, qui parcourt les conversations des personnages. Comme si le nom des choses même rendait hommage à leur existence, comme si existait une peur, souterraine, qu’à ne plus nommer les choses, on finisse par les oublier. Il y a le lieu où l’on vit, cette campagne dont on vient de parler. Mais il y a aussi la manière dont on vit. Et là, bien sûr, les choses deviennent plus problématiques.

Les personnages de Rohmer sont toujours confrontés à leurs principes qui, à force d’habitude, se sont constitués comme morale personnelle, règle de conduite, et devant lequel fini par buter leur désir. Ainsi, Magali qui voudrait bien rencontrer un homme mais ne fait rien pour. Alors ce sont les autres, ses amies, chacune de leur côté qui cherchent pour elle. Rosine cherche à la lier à son amant, qui ne l’est déjà plus, et sa fidèle amie Isabelle fait les petites annonces.
Finalement, et c’est aussi pour cela que la morale de Rohmer n’est pas un moralisme, malgré leurs contradictions, les personnages savent toujours trouver la voie qui est la leur, leurs choix sont, en fin de compte toujours les bons. Car en amitié, comme en amour, tout n’est qu’affaire d’affinités électives. Tel est ce que nous dit, avec plus de fraîcheur que n’importe quel « jeune cinéaste », monsieur Rohmer. Et du lointain qui sera le leur, gageons que c’est pour cela, que le salueront les hommes des temps à venir, tout comme déjà nous le saluons.