A priori, voilà un film qui en tient une couche : adaptation du comic Hellblazer, Constantine suit le périple d’une espèce de super-exorciste extralucide dans un Los Angeles peuplée de mangeurs d’âmes où l’antique lutte entre Dieu et Satan bat son plein. A l’origine, le film devait être réalisé par Tarsem Singh, auteur esthète du fascinant The Cell. Par chance, Francis Lawrence, son remplaçant, se situe exactement dans le même univers visuel : esthétique maniériste et raffinée, élégance des cadres, souplesse de chaque mouvement. C’est la première grosse surprise puisque le film, hors même son intrigue, séduit immédiatement par sa forme, à mi-chemin entre l’Alan Parker d’Angel Heart ou l’Adrian Lyne de L’Echelle de Jacob.

Seconde surprise, la distance avec laquelle est traité ce scénario de trois tonnes. Il faut même parler de finesse, tant le film sait prendre un maximum de risques là où il le faut (l’aspect grotesque et outrancier de certains plans cathartiques), sans pour autant jamais verser dans le cynisme. Malice plus qu’ironie, d’ailleurs : la lutte des forces du Bien et du Mal, loin des atroces pensums pour rôlistes ou ados psychotiques jouant sur une sorte de théologisme de substitution (Underworld, par exemple), prend des tonalités de western spaghetti, le héros usant de son crucifix mitrailleur comme Django traînait inlassablement son cercueil-valise. Drôle de polar mystique, donc, qui passe sans prévenir du burlesque à l’inquiétant, de la quasi-farce (l’Ange Gabriel, énorme) à un fonds singulièrement désespéré (Keanu Reeves, idéal en ex-suicidé blafard et maladif).

Mais le plus impressionnant demeure probablement le fonctionnement même du film, sorte d’enfilade de visions toutes plus incongrues les unes que les autres, d’états complètement opposés qui ne cessent de s’entremêler. Il faut un réel courage pour tenter cela aujourd’hui à Hollywood, une manière de principe de déstabilisation jouissif et salvateur où se refuse toute facilité (le finale assez bouleversant entre Reeves et Rachel Weisz). De cette instabilité, Constantine tire une poésie étrange où pleuvent les fulgurances (voir l’édifiante apparition finale de Lucifer). Voilà un vrai film baroque, que l’on peut à ce titre comparer au fragile Alexandre : une suite vertigineuse de séquences toujours sur le fil du grotesque, mais où s’impose, in fine, l’absolue maîtrise du point-de-vue qui les distribue.