C’est l’histoire d’un couple qui n’arrête pas de programmer et de déprogrammer le jour de son mariage. En attendant le temps passe, des membres de leur famille meurent, les amis les moins aptes à se marier sautent le pas, et le couple (Jason Segel et Emily Blunt) n’est toujours pas marié, et ça dure cinq ans. Pour autant, il ne faut pas prendre Cinq ans de réflexion pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire une comédie romantique apatowesque. C’est à s’y tromper parce que le film se vend absolument comme tel, reprenant la recette, qui traverse tous les Apatow-movies, du loser triste confronté à une femme qui a su comment vivre. Le film récupère également tout un héritage perfectionniste, notamment l’idée de « reprise » issue des comédies de remariage (refaire ce qui a été déjà fait, vouloir ce qu’on a voulu une première fois et, par là même, sceller une bonne fois pour toute une union). La reprise est ici appliquée à un couple timoré, pas encore marié, et dont l’amour est mis à mal par les vicissitudes de la vie. Par-delà les blessures, ils décideront de rester fidèles à cette scène primitive, cette image fondatrice d’un amour, exactement comme dans Nouveau départ de Cameron Crowe : image de la rencontre, où Segel lors d’une fête, s’avance déguisé en lapin vers Blunt déguisé en Lady Di. La scène (cruciale puisqu’elle figure la naissance de ce truc énorme, le couple) donne l’impression d’avoir été vue mille fois, mais avec une différence, petite mais importante, un petit détail weird : le déguisement de lapin, mélange devenu insupportable entre le mignon, le bizarre et l’émouvant. Mais l’amour a l’air de ne pouvoir se vendre que comme ça chez les éclopés du sentiment.

Qu’est-ce qu’un éclopé du sentiment ? Un type qui ne sait pas aimer, dirait Stoller (mais le film se fait avec lui quand même), un type qui doit apprendre à aimer répondrait Apatow. Le problème de Cinq ans de réflexion n’est d’ailleurs pas tant cette figure rebattue de l’adulescent en soi, que la limite qui se pose ici à sa glorification. Du début jusqu’au dénouement, rien ne change, tout le monde s’est rigidifié dans ses erreurs : reprise non pas du couple, mais de tout ce que le couple a foiré. La fin, et c’est très étonnant, répète la décision, aberrante, qui est à l’origine des mésententes futures : Blunt se voit proposer un poste dans le Michigan, ce qui oblige le couple à quitter San Francisco alors que Segel, cuistot, était en passe d’y devenir chef. Il prend sur lui, accepte de repartir de zéro professionnellement et trouve un job dans un snack – sur le sujet, voir le joli Trop loin pour toi avec Drew Barrymore qui fait un film autour de ce que Stoller résout en deux temps trois mouvements. Une fois au Michigan, sa frustration professionnelle s’hystérise petit à petit : il se laisse pousser la barbe, porte des pulls informes tricotés par son ami compagnon de chasse.

Au moment où Segel devient une loque humaine, cette image même est comme une crise, un point de non-retour dans le ridicule atteint par le film et qui est en partie dû au fait que les scènes ne visent qu’elles-mêmes, ne renvoient qu’à ce maniérisme apatowesque, aveugle au devenir de ses personnages, ici inexistants. Plus que cette histoire d’amour, chez Stoller et dans les Apatow-movies, ce qui a toujours compté c’est la justesse du détail générationnel, qui est affaire de petites décharges digressives au sein d’une scène, pas plus. Mais pendant ce temps, c’est le couple qui est mis à mal et une sorte de politesse de la vraisemblance qui fait totalement défaut au film. Segel souffre pendant que Blunt flirte avec son prof, finit son doctorat de psychologie et demande à son boyfriend d’être encore fière pour elle. Le sublime a été posé trop tôt (cette scène de rencontre en déguisement), il était la métaphysique au rabais d’un monstre d’égoïsme et d’un freak fatigant, parce qu’il n’y a plus de quoi rire devant un pull trop grand avec un cerf dessus. Il suffit de regarder Cinq ans de réflexion à la lumière des films d’Apatow pour voir ce que Stoller manque. Chez Apatow, la bizarrerie et l’échec sont toujours tristes, ne sont revendiqués qu’à un degré d’innocence où le loser n’a pas encore rencontré cet autre dans lequel il se regarde. Mais au-delà de ce qu’il représente presque sociologiquement (un geek, un comique-star, un puceau), ils sont invariablement considérés comme des types bien, qui se considèrent comme tels mais ont besoin qu’un ami ou un amour leur disent comment vivre.

Dans 40 ans, toujours puceau, Apatow ne quittait pas d’une semelle son personnage, tout se justifiait par rapport à lui, c’était davantage un être-puceau logé en chacun de nous qu’un véritable puceau qui l’intéressait. Ici, Stoller n’a qu’une collection de scènes à dégainer, un mélange entre l’univers apatowesque et les épiphanies ensoleillées de James L. Brooks ou Cameron Crowe. Cinq ans de réflexion brandit alors les signes de bonne santé du Apatow-movie tout en se développant contre ses codes : contre la conversation, l’explication, la volonté de changer, la reconnaissance de ses erreurs, les sacrifices mutuels, un refus de la médiocrité – sur le même genre de malentendu, voir la saison 1 de la série Girls. La fin du film en forme de blague résume à peu près toute l’entreprise de dégradation du genre, en faisant de la cérémonie de mariage une sorte de commande au fast-food super rigolote – encore une fois, l’envie de faire cette scène cocasse l’emporte sur le réel enjeu du film. A présent, plus rien n’empêche des personnages détestables de prétendre à ce que la comédie américaine a de mieux à offrir à ses êtres humains, entre le normal et le sublime : un petit coin de happy end.