Gamins, ils étaient inséparables. L’un, Chuck (Chris Weitz), est devenu un jeune cadre dynamique de l’industrie du disque qui arbore tous les signes extérieurs de la réussite : belle fiancée, belle maison. L’autre, Buck (Mike White), n’a jamais quitté sa maman et son âge mental équivaut à celui d’un enfant de dix ans. Lorsqu’ils se revoient pour la première fois au bout de quinze ans, le premier n’a qu’une envie ; écourter cette rencontre embarrassante, tout le contraire du second, ravi de ces retrouvailles. Son grand ami est à nouveau là, tout va pouvoir recommencer comme avant.

Le « couple » formé par Chuck et Buck, un simplet assorti d’un jeune homme parfait sous tous rapports (le rêve américain personnifié, il est beau, talentueux et ressemble étrangement, en plus joufflu, à Superman-Christopher Reeves) fait inévitablement songer au duo incarné par Dustin Hoffman et Tom Cruise dans Rain man. Avec un tel schéma, on craint un de ces films qui encensent grâce à un débile cette soi-disant valeur suprême qu’est l’innocence. Sauf que Chuck & Buck n’est en aucun cas une glorification nostalgique de ce fameux et mythique « esprit d’enfance », une « forrestgumperie » de plus. Une perverse comptine suffit pour nous en convaincre, « Chuck and Buck, suck and fuck »… Bien loin de l’inoffensif et asexué candide, le personnage de Buck nous est présenté comme un monomaniaque plutôt inquiétant. Obsédé par la seule histoire d’amour de sa vie, il n’hésite pas à déménager dans la même ville que son ami d’enfance. Coups de fil incessants, cadeaux embarrassants, etc., Buck s’incruste de manière maladroite et pesante dans la vie de Chuck. Un véritable harcèlement, particulièrement troublant dès lors que l’auteur de ces assiduités est un handicapé mental, un « faible » par essence.

Brouillant les rôles de victime et de coupable, le film joue habilement de cette relation ambiguë qui provoque un malaise de plus en plus patent. Dommage que la réalisation ne soit pas toujours à la hauteur. Tournée avec peu de moyens, cette comédie noire pâtit de son budget limité : image fréquemment crasseuse en raison de la vidéo numérique, photo à l’éclairage défaillant. Avec ses qualités, scénario atypique, et ses défauts, mise en scène peu inspirée, Chuck & Buck est l’archétype même de la production indé made in USA, mais pour une fois à mille lieues des canons hollywoodiens : l’idiot est au service d’un film intelligent.