En une poignée de films, Coline Serreau s’est imposée comme la chef de file de la comédie socialisante à deux balles, pointant de son gros doigt accusateur les mille et un travers de l’homme moderne trop stressé par son travail. Le « truc » scénaristique, employé à chaque fois, réside dans la toujours très efficace confrontation des contraires : le bébé et le cadre (Trois hommes et un couffin), la femme de ménage et le cadre (Romuald et Juliette), le SDF et le cadre (La Crise) jusqu’aux dérives de La Belle verte avec une extraterrestre écolo et bio (interprétée par Coline herself) donneuse de leçon irritante face à un médecin chef mangeur de viande. Chaos ne déroge pas à la règle et narre les mésaventures d’un couple bourgeois qui a la malchance de heurter avec sa voiture une prostituée arabe qu’il laisse agoniser sur le trottoir. Au programme, culpabilisation du public, pris en otage et sommé de se reconnaître dans ce parangon des hypocrisies caractérisant notre société capitaliste, puis rédemption des héros pour que le spectateur ne sorte pas honteux de se voir si laid en ce miroir.

Si l’on peut reconnaître à Coline Serreau un certain savoir-faire dans l’agencement de situations vaudevillesques, organisant avec rythme les tracas quotidiens de cette famille du 8e, Chaos est aussi dénué d’ambition qu’une pièce de boulevard aux péripéties réconfortantes parce que prévisibles. Sans aucun égard pour la mise en forme (jamais caméra DV n’aura donné image aussi crade), filmé à la va-comme-je te-pousse, Chaos témoigne une nouvelle fois du mépris de Coline Serreau pour le langage cinématographique sans doute jugé inutile devant la force du discours proposé. Et c’est justement ce discours empli de bonne conscience qui énerve le plus. Cette fois, la féministe Coline a décidé de s’attaquer, via le personnage de la pute boursicoteuse Malika, à la condition des femmes arabes maintenues en esclavage par un système musulman jugé profondément misogyne. S’ensuit alors une laborieuse digression sur le martyre de la jeune fille, obligée de se prostituer pour échapper à un mariage forcé en Algérie. On l’aura compris, la réalisatrice ne s’embarrasse pas de nuances, empilant les clichés comme autant de perles au nom de la « bonne cause ». Victime du simplisme de sa réponse, Coline Serreau ne se rend même pas compte qu’à la misogynie dénoncée, elle oppose un mépris des hommes tout aussi violent, les présentant soit comme des brutes, soit comme de faibles créatures aliénées par le travail ou la quête de chair fraîche. Difficile donc de cautionner ce film dénué de toute beauté, surfant avec opportunisme sur la mauvaise conscience du spectateur honteux de faire partie d’un système pourtant si mal décrit…