Comme son titre original (Actress) l’indique, Center stage est un film entièrement dédié au métier d’actrice et plus particulièrement à celle qui fut la première star du cinéma chinois, Ruan Lingyu. Stanley Kwan allie subtilement l’hommage à la comédienne avec une réflexion sur les premiers temps du cinéma de Shanghai. Principaux centres de production du pays, les studios de cette ville connurent un âge d’or qui correspond précisément à celui de la carrière de Ruan Lingyu, dont le terme tragique demeure son suicide mystérieux à 25 ans, au moment où le parlant faisait irruption.

De l’actrice légendaire, il ne reste donc que les images, sans le son d’une voix à jamais éteinte. Dans un premier temps, le film garde une certaine distance avec le mythe en mêlant des épisodes recréés de la vie de Ruan Lingyu avec des scènes de la préparation du film que nous sommes en train de voir. Cette mise en abyme donne lieu à plusieurs séquences qui montrent Stanley Kwan et Maggie Cheung, dans leur propre rôle, enquêter auprès de ceux qui ont connu la star. La confrontation entre les scènes reprises par la jeune comédienne et les originales interprétées par Ruan Lingyu ajoute un contrepoint temporel et formel (la couleur se substitue au noir et blanc). De cette comparaison naît un étrange sentiment, l’émouvante expérience de la permanence de la beauté. Les images des années trente nous rappellent avec force cette genèse cinématographique que constitua le début du siècle. Entre Ruan Lingyu et son modèle s’instaure une fascinante filiation, celle de deux corps au service d’un même art. Parfait documentaire sur une actrice en pleine composition, le film de Stanley Kwan tire une belle révérence au travail de toutes celles qui ont vécu leur métier avec passion.

Malgré la formidable interprétation de Maggie Cheung (véritable réincarnation de l’actrice défunte), Center stage perd de son intensité en se concentrant sur la reconstitution de la vie de Lingyu. De plus en plus proche du simple biopic, le film laisse de côté sa réflexion sur le cinéma, comme si Stanley Kwan se prenait à son jeu et entrait à son tour dans la cour des admirateurs de celle dont il retrace la vie. Du coup, la mise en scène devient très classique, avec ses passages obligés sur les relations sentimentales nouées par l’actrice, l’introduction convenue du contexte historique (l’invasion japonaise de 1931) et le tracé linéaire d’une vie retranscrite fidèlement. Les scènes s’enchaînent sans grande surprise, chacune illustrant lourdement un aspect biographique. Les mouvements de caméra obéissent à une même logique, tel ce travelling latéral pompeux sur les visages des proches à l’enterrement de Lingyu, qui n’oublie personne (l’amant, l’amoureux transi, la mère éplorée, la fille adoptive, les techniciens respectueux…).
Une étrange mutation se produit dans Center stage, film au début éblouissant qui se clôt paradoxalement sans aucune inventivité.