Le Havre, son port, ses baraques à frites, son atmosphère poétique-glauque. Marie Trintignant, personnage à part entière, icône destroy de la sensualité brute, incarnation de la rêverie triste. Marc Barbé, monsieur cinéma expérimental nouvelle génération, le macho glacial et racé, l’underground exigeant et coupant. Ce qu’ils imaginent est un film qui balise d’emblée son terrain, prévient sans détour de son contenu. On est dans le lourd, le dur, le sensoriel, le radical. Pourquoi pas, on veut bien se laisser aller. Sauf que la réalisatrice Anne Théron reste à quai. Incapable ou inconsciente de faire décoller son film, on ne saura jamais vraiment. Seul certitude : un piétinement constant d’une oeuvre scotchée à ses starting-blocks, grand sur-place d’une heure trente, qui par défaut est érigé en moteur dramatique.

Juliette Weiler voit son mari mourir par étouffement suite à un œuf dur mal mastiqué. Elle plaque tout, atterrit par hasard au Havre, s’embarque pour la première destination. Le prochain cargo part dans 48 heures, le temps de croiser Santiago, petit vendeur de frites. Coup de foudre. Les deux amants se jurent de s’envoler vers l’Argentine, mais pas maintenant. Le jeune homme doit d’abord d’amadouer son père qui imaginerait l’avenir de son fils en Monsieur Snack de la région. D’où le fameux sur-place, grand sujet toujours effleuré, jamais approfondi. Anne Théron a beau multiplier les points de vue, tenter des décalages, flash backer ou flash forwarder, rien n’y fait. C’est même pire, tant le film renonce à tous ses engagements, suivre Juliette Weiler, s’hypnotiser, se substituer à elle. C’était pourtant l’intention des premières scènes, visions littérales quasi-subjectives du flottement du personnage.

Et puis non, le film creuse un autre sillon, puis d’autres à nouveau. Le mari n’est pas mort étouffé par un oeuf, il a juste avalé de travers. Il cherche sa femme. Atterri lui aussi au Havre, parle aux même gens, picole aux même troquets et au final, bouffe les mêmes frites que Juliette. Avec un temps de décalage. Très fort. Le titre se justifie alors à moitié. Il reste encore du mystère. La classe. Pourquoi « ils » au pluriel ? Parce que Juliette captive, laisse une trace sur autrui. Santiago, son père, la patronne de l’hôtel, son mari et la copine qui écoute des claquettes entre deux containers bleus glacé-rouille ont tous des impressions à livrer. Avec ou sans Juliette. D’où Ce qu’ils imaginent au pluriel. La boucle est bouclée, Anne Théron a fini de discutailler son pitch. Puissant, le concept.