A un rythme effréné, Raoul Ruiz construit une oeuvre saturée aux allures de grande brocante où se mêlent kitscheries miteuses, exercices de haute volée, grosses machines pompeuses et, de temps à autre, quelques petits objets à la singularité affolante. Ce jours-là prend place dans un entre-deux, ni tout à fait dans la cour des grands (son dernier bon film, Le Temps retrouvé, remonte déjà à loin), ni dans la basse-cour foutraque où ses derniers films (le lamentable Fils de deux mères qui remonte quant à lui à peu) se battaient joyeusement en duel.

Petite Chabrolerie aux rebondissements jouissifs et mécaniques (on fait évader un psychopathe pour éliminer une jeune foldingue héritière d’une fortune, mais ce sont les commanditaires qui se feront trucider un à un), Ce jours-là fonctionne comme une attraction foraine un peu désuète, oscillant entre grand-guignol coloré (le personnage de Bernard Giraudeau et son manège meurtrier totalement délirant) et lisse entreprise de dynamitage sociologique (la vie d’un petit village suisse et le fumeux mais très poétique propos politique du film : l’Etat comme serial-killer originel, dont seul réchappent les esprits simples et les hallucinés). A l’actif du film, une interprétation savoureuse, une réalisation extrêmement sophistiquée (le plaisir du cadrage « pur » et la générosité roublarde de la mise en scène de Ruiz sont toujours un antidote aux faux films d’auteur de « qualité française ») et le plaisir, enfin, de voir Ruiz se libérer d’une quelconque ambition de flirter avec le « grand cinéma » pour se laisser aller aux seuls principes du divertissement soigné et de la fable échevelée.

Très vite, Ce jour-là n’est ainsi plus qu’une mécanique qui tourne un peu à vide, une petite farce morbide dont la seule ambition réside en quelques points de fuite largement atteints au finish : efficacité, fluidité, simple plaisir de la boîte à musique qui se délie peu à peu pour ouvrir, comme par enchantement, sur une fiction autonome en roue libre. Si Ce jour-là tient plus du film-fantaisie que d’une véritable oeuvre de joaillier, il révèle aussi ce à quoi aurait pu tendre Raoul Ruiz à une autre époque et dans d’autres lieux (les grandes cinématographies populaires de l’Italie ou du Mexique dans les années 60-70, par exemple) : se faire vrai cinéaste populaire ou petit maître baroque à la Bava (impossible de ne pas penser à L’Ile de l’épouvante lors des scènes répétées de banquet macabre, ici), loin, bien loin des atroces ambitions de grandeur et d’auteurisme aigu qui, depuis trop longtemps (en gros depuis L’Hypothèse du tableau volé, 1978) pourrissent le cinéma de contrebandier de Raoul Ruiz.