Des comiques télévisuels des années 2000, le Jamel comedy club ne s’était encore jamais confronté au cinéma. Case départ répare cette anomalie sans se démarquer de la nouvelle loi du genre : faire muter un sketch afin qu’il s’adapte aux contours d’un film, façon Dubosc (Camping) ou Elmaleh (Coco). Sauf que chez Eboué-Ngijol, l’identité comique se fonde davantage sur une attitude médiatique, une tendance (l’humour communautaire, l’ironie un peu trash qui assaisonne les plateaux de Ruquier ou de Denisot) que sur un numéro de scène achevé et connu de tous. On peut voir cela comme une chance, que le film existe ainsi pour lui-même, débarrassé d’encombrantes conventions et de franchises inadaptées.

Case départ démarre plutôt bien d’ailleurs, sur un mode binaire et frontal hyper jouissif emprunté au Pari des Inconnus. Deux demi-frères qui se détestent et que tout oppose socialement se retrouvent au chevet de leur père mourant : le premier (Ngijol) racaille qui trouve, dans le racisme ordinaire, prétexte à l’immobilisme, le second, bourgeois métis refoulant sa part afro avec une véhémence de petit fayot droitier. A la suite d’un sortilège dont la teneur nanardeuse inquiète un peu, cet attelage est transbahuté en Martinique en plein âge d’or de l’esclavage. Excellente idée, terrain de jeu rêvé pour le duo d’énergumènes où se renvoient dos à dos les obsessions des uns (concurrence victimaire, amalgame entre l’esclavagisme d’hier et celui d’aujourd’hui), le racisme paisible des autres (l’impayable famille de planteurs), dans un équilibre des forces plutôt malin.

Mais c’est sur la forme que Case départ s’effondre, victime du grand mythe actuel du cinéma français : se convaincre que le savoir-faire s’obtient par la seule volonté de mettre en scène, croyance notamment chevillée au corps des néo acteurs-réalisateurs, mais aussi d’artistes venus en voisin (Sfar). Pas une mince affaire ici puisque le problème d’Eboué-Ngijol est double : ils ne sont ni acteurs ni réalisateurs, et si leur modestie naturelle les tire d’affaire sur un plan strictement personnel (ils sont nuls comme acteurs mais sympas comme à la télé), elle ne peut rien pour leur film. Chaque idée est saccagée par cet amateurisme de touriste immature et joyeux, l’ensemble se réduisant en un brouillon dévitalisé dans lequel les deux clampins errent comme des fantômes – aucun personnage ne parvient à exister dans un récit tétraplégique, artificiellement secoué par une liste de rebondissements boulevardiers. Une scène (hilarante au demeurant, la seule) théorise sans le vouloir cette impuissance benoîte : pour garantir leur survie, N’gijol et Eboué qui ont parasité le coup de foudre de leurs ancêtres (à la Retour vers le futur) les enivrent puis les accouplent mécaniquement comme deux pantins inertes. Exactement le film : une partie de Playmobils géante organisée par deux grands ados rigolards.