Le film s’ouvre sur une très belle scène programmatique. Clément (Emmanuel Mouret) est au parc avec son fils, ils lisent sur un banc. Puis Clément, qui a l’air un peu excédé, demande à l’enfant s’il n’aimerait pas arrêter de lire pour faire autre chose, par exemple jouer avec son téléphone portable, mais non, rien à faire, le garçon préfère lire. À l’image de cet étrange enfant qui lit trop, tous les personnages de Caprice ne cessent jamais d’échapper à ce qui devrait les caractériser. Clément est un instituteur sans histoire qui rencontre Alicia, célèbre comédienne a priori inaccessible. Une idylle naît, qu’on imagine ne durer qu’un temps, avant d’être détrompé par le film.

Clément lui-même est un assemblage de tous ces personnages hollywoodiens moyens, petits employés solitaires (Tom Ewell, Jack Lemmon, Edward G. Robinson), qui se retrouvent au milieu d’intrigues plus grandes qu’eux à côtoyer la femme de leurs rêves. Après avoir assidûment suivi Alicia au théâtre, Clément est sollicité par la comédienne pour donner des cours à son neveu. Ils sortent un soir, s’embrassent, et ce rêve s’étire encore et encore, devient durable : l’homme moyen est en couple avec la star. Cette première partie, qui narre sereinement la rencontre et la relation entre Clément et Alicia, est belle dans sa façon de déjouer sereinement le cliché d’une relation entre un admirateur et une célébrité (loin de l’amour impossible dépeint, par exemple, dans Coup de foudre à Notting Hill). Le choix de Virginie Efira est ici idéal : son visage poupin de blonde aux yeux d’écureuils dit toute l’ambiguïté d’un personnage faussement glaçant et vraiment chaleureux, d’une image qui se transforme peu à peu en femme vulnérable sans rien perdre de son mystère.

On retrouve dans l’écriture de ce nouveau film la belle maturité du précédent, Une autre vie, qui était lui un douloureux mélodrame. De l’un à l’autre, Mouret semble avoir mis la main sur un secret de fabrication qu’il n’avait, jusque-là, appliqué qu’imparfaitement, déployant son laboratoire des sentiments avec un peu trop de raideur et de volontarisme. La complexité des coeurs y était traitée à même la surface des dialogues, révélant sans cesse les coulisses du scénario, au détriment des personnages. Or toute la réussite de Caprice tient justement à sa façon de repousser l’architecture scénaristique au fin fond du film, de la reléguer dans la profondeur pour ne filmer que les ondulations de la surface et ainsi rejoindre un peu mieux ce modèle du grand classicisme qui obsède Mouret.

Le couple, donc, est amoureux, mais tout se gâte le jour où Clément rencontre Caprice, jeune actrice un peu collante qui ne cesse de chercher à le revoir. Clément n’est pas intéressé, mais sa politesse le rattrape : il ne sait pas dire non, et se retrouve malmené par cette jeune femme malicieuse habillée comme une college girl. Quand Alicia découvre la tromperie, elle pardonne à Clément au motif qu’elle serait la victime d’une malédiction : les hommes avec qui elle sort finissent toujours par la tromper, ce serait donc sa faute à elle. Avec cette superstition sentimentale et enfantine, Mouret n’a jamais été aussi proche de Rohmer : dans le pardon d’Alicia se joue l’idée d’une bonté soutenue par la croyance en une loi secrète, quasi-scientifique, qui régirait les sentiments. Et de même qu’il y a trop de bonté chez Alicia, il y a trop de bonté chez Clément qui aimerait se débarrasser de Caprice sans la heurter : plus il désire simplifier la situation, plus la situation devient compliquée – et cette endurance à supporter poliment Caprice est ce qui permet au film de lui donner une chance en tant que personnage.

C’était déjà presque le mode de fonctionnement d’Une autre vie : le soupçon du cliché est  déboulonné par un imprévu qui a le visage de la bonté. Belle idée, hautement classique, qui traverse tout le film et consiste à parier sur la moralité des personnages, laquelle est un subtil artifice pour lutter contre la rigidité scénaristique, en se détournant des codes du genre par de constantes bifurcations. C’est prendre la bonté moins comme principe moral que comme principe esthétique. Et Caprice, d’ailleurs, exprime la même bonté : tout comme Alicia passe du statut de la star à celui de femme aimante, Caprice passe du statut de briseuse de couple tête à claques à celui d’une sorte de Jiminy Cricket bienveillant. Elle finira par trouver sa place dans la vie de Clément, en une conclusion dont la beauté réside dans une solution apaisée, consistant à dépasser la tentation tout en la caressant. Préservant chaque situation dans un écrin de sobriété qui ne soutire jamais au spectateur les effets désirés mais les laisse venir patiemment, Mouret récolte ainsi les fruits d’un travail patient et souterrain, qui n’a jamais été aussi propice à capter les moindres nuances des sentiments.