Lundi

Toujours fatal ici, le tournant du lundi. Confits depuis cinq jours dans leur marinade de projos et de vodka, les cerveaux commencent à dérouiller sévèrement tandis qu’un voile d’absurdité se dépose sur toute chose. Résultat: on va écrire du bien du Jarmush, du mal de Jeff Nichols (à part Louis qui fait la gueule parce qu’il est le seul à aimer cette purge), et BHL chope une invit’ de dernière minute pour la sélection.
JM

Un piment

Ce fut une joie intense de retrouver ce matin Jeff Nichols. Et courte: deux minutes environ, soit le temps que dure l’ouverture, sublime, de Loving, consacré à l’histoire vraie d’un couple mixte confronté dans les années 60 aux lois racistes de l’Etat de Virginie. Deux minutes merveilleuses, décrivant sur un perron l’annonce délicate et anxieuse d’un grossesse, en se concentrant sur une paire de visages trempée dans une émotion cristalline et dont le film, passé ce moment de grâce, fera son miel deux heures durant avec le projet manifeste de remporter les Jeux Olympiques de l’affectation. Parmi les déçus, très nombreux, beaucoup font au film le reproche de l’académisme, or Loving souffre peut-être précisément du contraire, ou du moins de son opiniâtreté à déjouer la tentation académique qu’encourageait naturellement son sujet. Méthodiquement, Nichols contourne  tous les passages obligés de ce type de récit remontant le cours d’un moment clef de l’histoire citoyenne du pays – luttant un peu malgré lui contre une loi qui interdit le mariage interracial, le couple fut à l’origine d’un arrêt historique de la Cour Suprême. Pour filmer quoi, à la place ? Très peu de choses: la modestie butée du couple, son amour confiant et muet, dans un écrin d’americana déclinable en prospectus sur les comptoirs de l’office du tourisme local. Sur le papier, cette alliage de minimalisme sentimental et de clichés couleur locale avait tout pour séduire, venu d’un cinéaste aussi talentueux que Nichols. Mais Loving confirme, après Mud, que si l’auteur de Take Shelter fait des merveilles à la pointe aiguë où les angoisses domestiques confinent à la folie, il est moins à l’aise dans la peinture de la simplicité. Dans son rôle, potentiellement déchirant, de bouseux gentil et expressif comme un caillou, Joel Edgerton (second rôle remarquable dans Midnight Special), finit par être tout bonnement insupportable. Rien de pire qu’un acteur qui surjoue un personnage taiseux  et renfrogné, et qui finit par donner l’impression d’un type qui a croqué dans un piment et qui s’efforce de se contenir.
JM

Cuisine interne

CAPTURE_03

Cannibales, on est mal

J-3 avant The Neon Demon et sa supposée déflagration gore, qui devrait clore une série de portraits de mangeurs d’hommes de tout poil : Ma Loute, Le BGG, Grave. Trois films, trois propositions d’éthique du cannibalisme qui s’entredévorent – expression farfelue et outrée jusqu’au délire d’un rapport de classes (Dumont), diabolisation de la viande (Spielberg), découverte du goût des autres (Ducourneau). Que nous prépare Refn au travers du parcours d’Elle Fanning, petite mannequin apparemment forcée de bouffer littéralement ses rivales pour sauvegarder sa beauté ? Quoi qu’il en soit, ce sont les vegans qui risquent une fois de plus d’être contents.
YS

Un petit polar, une petite sieste

Dans la salle Debussy, le réalisateur de Dogs a cru bon, sous la pression protocolaire de Thierry Frémaux, de relancer la présentation de son film par un avertissement aux cardiaques et aux femmes enceintes. Manque de pot, ce premier long-métrage d’inspiration coenienne a l’énergie d’un polar sous Tranxène, et ne risquait pas de provoquer un encombrement aux urgences, en dehors des rangs des mémés cannoises. Seules quelques notes d’humour noir et une mise en scène parfois inspirée sauvent l’ensemble d’une sieste bienvenue pour ses spectateurs. C’était donc la journée de dimanche qui, avec la projection du Garcia, faisait porte ouverte pour l’hospice du coin.
GO

Des petites marottes

Cinquième sélection en compétition pour le Philippe Delerm américain. Jarmush, c’est la poésie tranquille des petites choses, le monde réduit à une liste de courses culturelles dans un notebook Moleskine. On oublie souvent que Jarmush, comme une bonne part de sa génération (au pif, et en pire: Assayas, en compét’ ce soir), fut l’inventeur d’un cinéma purement culturel, dont l’influence aujourd’hui est la calamité que l’on sait. Cinéma de petits machins, petits objets, petites anecdotes, et petits clins d’oeil, déposés comme autant de cailloux de bon goût sur le chemin du vide grenier. Les deux précédents films de Jarmush avaient repoussé dans ses retranchements les plus néantesques cet appétit de distinction autiste, et il est évident dès l’entame de Paterson que la liste sera carabinée. Paterson, c’est le nom d’un patelin du New Jersey situé à quelques miles de New York, mais aussi d’un chauffeur de bus lunaire et poète anonyme (Adam Driver), consignant ses vers minimalistes dans un joli carnet. Dans la petite maison qu’il occupe, sa petite amie prépare chaque jour le petit repas qu’il emporte avec lui dans sa petite lunch box, puis le soir venu l’encourage à éditer ses petits poèmes portant sur des petites boîtes d’allumettes, tandis qu’elle-même s’affaire à la confection de petits cupcakes et de petits travaux de décoration intérieure. En fin de soirée, Paterson va boire une petite bière dans le petit bar du coin, où le patron lui raconte de petites anecdotes sur Abbot et Costello ou Sam & Dave. Surprise: cet attirail cauchemardesque, qui devrait donner envie de se rincer les yeux à la soude, est étonnamment supportable et le film plutôt pas mal. Pas mal parce que Jarmush ne déguise d’aucun prétexte cette passion des petites choses, qu’il ausculte avec une distance amusée en laissant se dérouler cinq journées quasi-identiques dans un geste conceptuel à mi-chemin de Perec et d’une déclinaison normcore de Jeanne Dielman. Lequel film d’Akerman est, de toute évidence, cité explicitement quand un matin le réveil de Paterson fait faux bon et inaugure toute une série de menus dérèglements. Répétition et variations: ce programme, lorgnant sur le cinéma d’Hong Sang-So, est tenu avec une réelle élégance et sur fond d’une note lancinante d’étrangeté inquiète qui parvient à donner une film une réelle singularité. Bravo Jim.
JM

Une épave sacrée

Il ne fallait pas arriver en retard à la présentation officielle de Tour de France de Rachid Djaïdani, inaugurée sur scène par le prévisible numéro d’histrion offert par Gerard Depardieu. Invité aux côtés de l’équipe artistique, l’acteur parlait très peu du film au profit d’une sorte d’ego trip masochiste, déroulant sa coutumière mais toujours émouvante litanie de bête blessée — morceaux choisis : ‘Pardonnez moi, je suis fatigué de vivre et effrayé de mourir” ; “Je n’ai plus envie de faire partie de ce monde là” ; “J’ai vraiment honte d’être français.” Il faut dire que Cannes a pris l’habitude de ces rendez-vous mi-gênés mi-complices avec le trublion hexagonal : il y a deux ans, c’était Welcome to New York d’Abel Ferrara ; l’année dernière, Valley of love de Guillaume Nicloux. Si ces retrouvailles ponctuelles accompagnent rarement de bons films, elles suscitent chaque fois chez le spectateur une curiosité presque médicale, par l’auscultation patiente que les cinéastes prennent le temps d’opérer sur l’épaisse carcasse et la lente agonie du russo-castelroussin. Une plus-value qui, cette année, ne viendra pas sauver du désastre l’embarrassante croûte de Djaïdani, fable gogole sur le choc des générations et les vertus de la réconciliation nationale. Au-delà de la connerie de l’intrigue (imaginez Gran Torino scénarisé par Patrick Sebastien), le film amplifie à peu près toutes les tares de son précédent exposé do it yourself, Rengaine. Le réalisateur continue d’étaler sur l’écran les milles idées qui lui traversent l’esprit pour mieux dissimuler qu’il n’en a aucune de bonne. Livré à cette succession de sketchs piteux, Gégé y est lui comme à son habitude, à la fois affreux et génial, toujours heureux de charrier dans son naufrage le pire comme le meilleur du cinéma français.
LB

Go south, young boy !

Comment aimez-vous votre western cannois de l’année ? En Stetson et pantoufles, style The Homesman ? Moderne et dantesque, façon Sicario ? Comancheria, lui, semble un temps s’adresser aux rookies du western crépusculaire, proposant une formation accélérée sur les shérifs en pré-retraite, la Frontière à l’agonie, les cowboys nostalgiques et la gastronomie du Texas. Mais on réalise vite que ce brassage a priori clicheteux vise en réalité l’habitué, pour lui proposer une sorte de digest quasi parodique où tous les poncifs sont moqués sans pour autant perdre de leur saveur premier degré. Ainsi, le Texas Ranger Jeff Bridges baragouine du fond de sa gorge graveleuse, assomme son co-équipier métisse de vannes racistes sur les Amérindiens, traque un Chris Pine en braqueur dépressif (et assez juste, tiens) qui se fait draguer par des serveuses girondes dans les diners. Tout cela proliférant autour de quelques idées simples, dont celle-ci : au Texas, les hold-up sont une tannée parce que le moindre quidam cache une arme dans ses jeans et peut y mettre son grain de sel. Rien qui redéfinisse le genre, mais comme il n’en a jamais la prétention, Comancheria occupe sans mal le créneau de la récré américaine d’Un Certain regard, dont on vient à bout comme d’une ravigotante assiette de nachos.
YS

Haute sécurité #4 : Le 3.14

Le fameux Baron étant désormais aux mains du Qatar, son équipe œuvre depuis 2015 pour La Mano, délocalisée cette année au florissant 3.14. Saluons le sérieux et l’ardeur des physionomistes qui filtrent les entrées avec un redoutable flair, inchangé d’année en année – d’autant que les personnes de confiance (assimilées pour l’essentiel aux communautés du spectacle) y bénéficient d’un accueil jovial et délicieusement fantaisiste. Mais cette méthode de régulation est-elle bien suffisante en cette période troublée ?  Il est permis d’en douter. « Si les people accueillis à bras ouverts dans des établissements comme le 3.14 semblent peu enclins à la radicalisation religieuse, les sympathies altermondialistes ou anarcho-communistes dans le milieu des médias et du cinéma français restent préoccupantes », estime Michel Gagnant, responsable du fichage des personnalités publiques à la DGSI. Restons vigilants. Verdict : 2/5
YS

Chronic’art recrute

Après la performance de Vincent hier, c’est Guillaume qui décroche la timbale aujourd’hui. Il faut dire que ces deux-là partent avec un avantage, puisqu’ils ont tous les deux fait leurs gammes ici-même. Les gars, on a gardé vos places à la cantine, n’hésitez pas.

Tous les résultats ici :
CHRO_5_0_?

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