Attention, meilleure quote du festival depuis vingt ans, à l’aise :

« Je voulais éviter l’impérialisme culturel, c’est pour ça que j’ai demandé à Hans Zimmer de composer de la musique africaine » (Sean Penn à propos de The Last Face)

Une main sur l’oreille

Il y a vingt ans, Daney ironisait sur ces chansons type We are the world que braillaient Stevie Wonder et d’autres « en se mettant la main sur l’oreille ». C’est un peu comme ça qu’on imagine Sean Penn cinéaste sur le plateau de The Last Face: la main sur l’oreille et les yeux plissés à mort, en pleine crise de constipation caritative. Quant aux futurs spectateurs de cet invraisemblable nanar humanitaire, on leur conseillera de viser les yeux plutôt que les oreilles. Encore qu’un casque intégral serait peut-être plus sûr pour s’épargner le spectacle d’enfants libériens charcutés au ralenti sur fond de vocalises de Mary J.Blidge (« humhummmmaawooowwaaoom » fait la diva pendant qu’un moutard  unijambiste fait coucou à l’hélicoptère de Médecins du Monde), ou à celui de Javier Bardem en chirurgien de l’extrême looké comme Bernard Lavilliers. Inutile d’épiloguer longtemps sur l’évidente obscénité de ce porno tiers-mondiste, sinon pour pointer un détail fabuleusement révélateur, un raccord inouï entre deux scènes. Dans la première, le chirurgien Bardem écoute à l’Ipod un tube des Red Hot Chili Peppers tandis qu’il essaie de recoudre un enfant déchiqueté par une mine. Dans la deuxième, Bardem et Charlize Theron, en pleine crise conjugale, se mettent à baiser fougueusement sous une lumière de pub pour machine à cappuccino. Et que croyez-vous que Sean Penn a choisi pour habiller la scène ? Bingo: le même tube des Red Hot Chili Peppers, signe que Penn ne voit absolument aucune différence entre l’image d’un libérien coupé en deux et celle d’un duo d’acteurs L’Oréal en train de faire semblant de prendre leur pied. Au moment de quitter la salle (au bout d’une heure, ce qui est déjà énorme), l’image en contrechamp du public littéralement cadavérisé par la débilité du film indiquait que Sean Penn ferait mieux d’oeuvrer pour le lobby des marchands d’armes que pour Médecins du Monde: son cinéma est plus dévastateur que n’importe quelle bombe à fragmentation.
JM

The Sad Punk

Aujourd’hui, la critique s’écharpe autour d’un drôle de film, au titre pas moins farfelu : « NWR ». Le générique scande les initiales de Nicolas Winding Refn avec une insolence programmatique : le récit de The Neon Demon n’a strictement aucune importance – comme toujours chez Refn – et ce qui s’esquisse là n’est autre que le manifeste d’autodestruction du grand NWR, donc, une sorte de seppuku scandinave exécuté dans une baignoire californienne emplie de sang grumeleux. Déjà la veille, devant le Dolan, on entrait moins dans un film que dans le labo de luxe d’un apprenti sorcier bouffé par l’orgueil, on évaluait moins l’œuvre que ses gesticulations hystériques et ce qu’elles nous apprenaient du devenir de son auteur. C’était toutefois involontaire, là où Refn répond sciemment à l’opprobre tombé sur Only God Forgives, et tient la gentillette promesse badass ressassée dernièrement en interview (« je suis désormais le Sex Pistol du cinéma », répète-t-il volontiers en prenant un air mutin). The Neon Demon est effectivement un sabotage, un majeur bien tendu et compréhensible uniquement au regard du parcours de NWR, dont la vision s’apparente cette fois à un happening taillé sur mesure pour Cannes : il s’agit d’arracher le sceptre du génie kubrickien des mains de la critique internationale qui le lui avait fait miroiter, pour finalement le renvoyer à la case départ. Aucun mal à ça, si seulement le film ne sacrifiait pas sa maitrise et sa superbe, indéniables dans le premier tiers, à cette entreprise de piratage crapuleux survenant à mi-chemin, sous la forme d’un long tunnel de mirages psychotroniques qui semble inviter les fans de Drive à bien aller se faire foutre, et ceux d’Only God Forgives à se joindre à lui dans une orgie de bile, de filles glacées et de zolis néons. La matrice n’est pas à chercher du côté du giallo (NWR est trop ambitieux, trop tatillon, trop NWR pour s’inscrire dans cette lignée) mais auprès du père spirituel Jodorowsky, à qui OGF était dédié: installant un rail sécurisant de satire nichée dans les boyaux de Los Angeles, le film s’abandonne à un ventre mou d’hallucinations chamarrées mais sans vie, crescendo époumoné de tapisseries digitales et de coups d’éclat sans imagination – tout comme El Topo, par exemple, dérivait du western arty mais identifiable pour devenir un trip pur sucre. Mais la proposition de The Neon Demon ressemble davantage à la tentative gore d’un vieux routier du genre hollywoodien (Cronenberg ou De Palma, au choix) qui chercherait à se refaire une santé avec une histoire de belles meufs cannibales ou nécrophiles sous les palmiers de L.A. (attention gros contraste). Pour qui aime NWR, même quand celui-ci se noie un peu dans la tambouille d’OGF, difficile de ravaler son amertume lorsque, dans les dernières minutes, au gré d’une ultime saillie confondante de nullité, se fait jour la triste et plate vérité : même pour adresser un doigt d’honneur suicidaire, Nicolas Winding Refn n’est pas brillant. Plus qu’à espérer qu’un jour, au moins, il redevienne très bon.
YS

Une voie de garage

Proche de la sortie mais pas encore rassasié, on était parfaitement conditionné pour se laisser embringuer par le nouveau Refn, avec sa promesse de Mulholland Drive au pays de la mode et des néons. On y suit une aspirante mannequin jouée par Elle Fanning, fraichement débarquée à Los Angeles où elle se lie d’amitié avec une jeune maquilleuse. Un sujet idéal pour Refn, dont chaque film est devenu le prétexte à un imagier d’hallucinations grandiloquentes, entre les pages desquels le réalisateur s’amuse à promener des allégories de trois tonnes (ici : jeunesse éternelle, vampirisation, société du spectacle). Si l’on perdrait beaucoup de temps à tenter de décrypter son nouvel égarement d’esthète, c’est que jamais film du réalisateur n’avait paru aussi fasciné et angoissé par le vide sur lequel il trône. Il faut voir cette séquence ahurissante, où la jeune maquilleuse se lance dans la masturbation d’un cadavre qu’elle est censée apprêter pour son enterrement. Ce déploiement érotique à destination d’un corps inerte dit tout de la voie de garage empruntée par le cinéaste, dont chaque film vient buter sur son incapacité à trouver quoi que ce soit derrière son art de l’épiphanie translucide. Cette année à Cannes, il faut dire qu’il y avait une place déraisonnable allouée à ce genre de buffets de vanités :  Assayas, Dolan, Refn, autant de cinéastes au cerveau suractif mais vide, théorisant leur absence d’inspiration avec des films aux airs de diagnostics inquiets. Ratatiné par la fatigue, le jugement du festivalier a pour mérite d’aborder ces objets tels qu’ils sont : une hypertrophie de tics, dont on sait d’avance qu’elle ne le mènera nulle part.
LB

Un Roi et deux corps

La Mort de Louis XIV, quatrième long métrage du catalan Albert Serra après trois films un peu merveilleux (Honor de cavaleria, Le Chant des oiseaux, Histoire de ma mort), a pour principe une seule image, regardée avec fascination près de deux heures durant: le Roi Soleil à l’agonie, progressivement givré par la raideur de sa mort, sa perruque immense étalée comme une flaque autour de son visage cireux, sa jambe malade graduellement repeinte couleur gangrène. Près de deux heures sur un corps qui ne fait rien d’autre, ou presque, que d’être posé là: les amateurs du cinéma de Serra trouveront d’emblée leur compte dans ce principe familier. À la double différence que, puisque c’est celui de Jean-Pierre Léaud, le corps ainsi installé est d’emblée mythique là où d’ordinaire il était un gros morceaux de vie brute et sans légende (Lluis Serrat, apparition sublime et obstinée des trois premiers films) ; et que Serra cette fois quitte les grands espaces venteux où s’étiraient ses plans, pour un huis clos radical (la chambre du roi, donc) et beaucoup plus découpé que d’ordinaire. Serra, croisé quelques heures après la projection officielle, s’en excuse presque en confessant que c’est son film « le plus académique » – ce qui n’est évidemment pas tout à fait vrai. Reste qu’en effet la séduction opère de manière moins évidente que dans les trois précédents films, et plus souterraine. Elle tient surtout à l’idée même du film, qui consiste à montrer pendant deux heures une poignée de spectateurs (la cour du Roi, les médecins, les charlatans, les conseillers politiques réunis au chevet du mourant) obsédés par une image (le Roi / Jean-Pierre Léaud), qu’ils regardent avec l’espoir secret que ce regard l’empêchera de disparaître. Louis XIV ici, c’est, au pied de la lettre, la dialectique des « deux corps du Roi » analysée par Kantorowicz et citée par Foucault dans Surveiller et punir. Le corps de Léaud, image légendaire et en même temps carcasse mortelle, y est couvé comme un écran de cinéma où guetter la plus subtile variation (sa jambe qui change de couleur, sa respiration hoqueteuse, les tics qui lacèrent son visage), le plus petit signe de vie, jusque dans ses tripes qu’on finit par ausculter comme une dernière ration d’image avant le tombé de rideau. Ce cloaque où s’agglutinent des obsédés de l’image est à la fois une épreuve un peu harassante à ce stade du marathon cannois, et peut-être la meilleure représentation du festival lui-même.
JM

Haute sécurité 8 : Le Martinez

Le terrorisme dessinera-t-il le visage du cinéma de demain ? Si un attentat ciblant le Palais frapperait à coup sûr une majorité de critiques, une offensive d’envergure au Martinez, à l’approche de la cérémonie de clôture, aurait plutôt un lourd impact sur l’industrie du cinéma – notamment français. Selon nos informations, les habitués y ont retrouvé leurs marques cette année, des simples visiteurs tels que Jacques Audiard (très attaché dit-on à l’inimitable cuisson du filet de bar) aux représentants de films en lice comme Gérard Depardieu (descendu au Majestic en raison d’une réservation trop tardive, mais inconditionnel du buffet matinal du chef Manuel Martinez). Ne parlons pas des décideurs de toutes obédiences (Thomas Langmann, Jérôme Seydoux, Pascal Caucheteux, Vincent Maraval…), hommes de l’ombre qui fabriquent le cinéma que nous aimons et qui refluent à Cannes lors du dernier week-end dans l’espoir de voir leurs efforts couronnés. Si les pensionnaires des belles adresses venaient à s’en aller, qui restera en scène pour faire rayonner le septième art de nos contrées ? Le bon sens nous répond : ceux de l’hôtel Ibis Centre. Parmi eux se trouvent notamment, renseignements pris : Julia Ducourneau, Houda Benyamina, Rachid Djaïdani et Benoit Manivel, tout désignés donc pour prendre les rênes de la production nationale. Fort heureusement, on murmure que Bernard Henri-Lévy, arrivé avant-hier soir sur la Croisette, aurait pris très au sérieux la sécurité de ses confrères. Dans un SMS adressé à Thierry Frémaux, le cinéaste et penseur invite effectivement à la prudence et assure son soutien en cas d’incident majeur : «s’il y a quoi que ce soit, appelez-moi. J’ai prévu le coup cette année, je suis logé au Westminster de Nice. #porteouverte ». Louable attention.
YS

Chronic’art recrute

À l’évidence, c’est l’ADN Chronicart qui parle : Guillaume finit encore premier – mais ex-aequo avec Frédéric. Bravo à tous les deux.

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