Café de la plage est d’abord né de l’imagination du conteur marocain Mrabet, personnage fantasque qui fascina l’écrivain britannique Paul Bowles lors de son séjour à Tanger dans les années 50. Liés par une amitié et une estime réciproques, les deux hommes ont par la suite co-écrit une quinzaine d’ouvrages, pour la plupart des retranscriptions par Bowles des récits oraux de Mrabet. Au moment où l’une de ces nouvelles prend vie à l’écran, il est amusant de constater à quel point ce processus de création originale se répète : le réalisateur Benoît Graffin ayant confié son scénario aux bons soins d’André Techiné pour qu’il y apporte quelques travaux de réécriture. Café de la plage est donc le fruit d’une série de doubles paternités, issu en quelque sorte de plusieurs inspirations. De Téchiné, le film porte la trace du penchant du cinéaste pour l’atonalité et les récits dénués de dramaturgie forte. C’est d’ailleurs ce qui confère au film son caractère atypique et en fait au final sa force. Dépouillé de tout folklore marocain, presque dé-contextualisé, Café de la plage met en scène la rencontre entre deux hommes dans un décor si épuré -une paillote au bord de l’eau- qu’on pourrait aisément le réduire à sa valeur symbolique. Driss, jeune Marocain qui vit de ses courses en taxi et dort dans sa voiture, atterrit un beau jour dans le café tenu par le vieux Fouad, un misanthrope bourru. Alors que Driss tente de nouer amitié avec lui, Fouad repousse ses avances.

A partir de cet argument de départ, Benoît Graffin élabore un film qui prend dans son ensemble la forme d’une parabole sur les rapports humains et, notamment, entre hommes. Car à la rudesse de Fouad, Driss (interprété par le rayonnant Ouassini Embarek) oppose son personnage de jeune homme au coeur pur, épris de liberté. Sa relation mouvementée avec le vieux tenancier le forcera au final à redéfinir son approche des autres, notamment des femmes, sa notion de la virilité (mise à mal par les ragots de Fouad), et son ouverture d’esprit presque naïve. Sans résolution claire, le récit se clôt sur le même sentiment de flottement qui caractérise tout du long le film et rend compte de la complexité philosophique sous entendue par son sujet : un homme refuse son amitié à un autre homme. En imposant au récit un rythme presque nonchalant, Benoît Gaffin souligne parfaitement la dimension mystérieuse de cette histoire de fraternité contrariée, élégamment mise en valeur par la luminosité de la côte marocaine.