Présenté à Berlin en 1991, Cabeza de vaca a mis tout ce temps, vingt ans, pour arriver jusqu’à nous. De son auteur, Nicolas Echevarria, on sait peu de choses sinon que, cinéaste ethnologue, il a derrière lui une foisonnante oeuvre documentaire dont l’essentiel fut dédié aux rites des indiens du Mexique. Cabeza de vaca fut sa première fiction, et, à l’échelle du cinéma mexicain d’alors, une superproduction. Le film déclencha, aux Etats-Unis notamment, un enthousiasme auquel les salles françaises, pour des questions de droits dit-on, avaient dû laisser la porte close jusqu’à aujourd’hui. Au passage, que soit salué ici le travail des parisiens de ED Distribution, dont l’acharnement à pister le cinéma sur ses chemins de traverse nous vaut régulièrement de précieuses sorties – Cipri et Maresco (Totò qui vécut deux fois), c’était eux, tout comme l’étonnant Primer ou les récentes éditions dvd des films de David Williams.

A l’aune de ce goût pour les cinéastes pirates, on ne s’étonnera pas de voir présenter Cabeza de vaca sous le double patronage d’Herzog et Jodorowsky. C’est peut-être lui en mettre un peu beaucoup sur les épaules, d’autant qu’elles sont lourdes déjà de la curiosité suscitée par sa rareté – malédiction des films ainsi vendus, une fois privés de leur manteau de film culte et ramenés à la nudité de ce qu’ils sont : en l’occurrence, ici, un film à moitié bon, intéressant au moins, mais clairement pas un chef-d’oeuvre. Avec le Herzog de Aguirre, la comparaison s’impose. La faute au sujet : le film d’Echevarria retrace le récit de l’explorateur espagnol Alvar Núñez Cabeza de Vaca, embarqué pour la Floride en 1528 en tant que trésorier de Charles Quint. Echoué en Louisiane, fait prisonnier deux fois par des tribus indiennes, il est initié à la magie des indigènes puis, devenu shaman, retrouve finalement une partie de son équipage pour traverser le continent d’Est en Ouest.

L’illustre récit (repris du journal de bord de Cabeza de Vaca) et la pente ethnographique naturellement suivie par Echevarria sont le double atout et la claire limite du film. Dans cette double exigence quelque chose, étrangement, semble faire barrage à la fiction, déployée par strates quasi-documentaires (les successives confrontations aux indigènes, de loin ce qu’Echevarria réussit de mieux) qu’on assemble un peu à la manière d’un livre d’images, faute de trouver l’axe qui pourrait donner au film son mouvement d’ensemble. Très vite celui-ci semble clivé, empêché par la concurrence permanente que se livrent, d’un côté ses belles parenthèses ethnographiques, de l’autre le soucis un peu volontariste d’élever son récit jusqu’aux cimes épiques et édifiantes de la fiction (la leçon d’anthropologie générale, un peu forcée ; la tentation baroque qui perce ici et là, un peu lourde). Manque un centre, et peut-être tout bonnement, un personnage – celui que l’on suit n’est guère plus qu’un guide, péniblement incarné en icône beuglante à laquelle on peine à s’intéresser vraiment. Ce souffle qui lui fait défaut, Herzog précisément le trouvait en réduisant toutes les dimensions à un personnage, ventre de la fiction vers quoi il était permis de faire tout converger – récit épique, western, ethnofiction, tous horizons réunis par la grâce d’un geste de contrebandier, plutôt que de pédagogue. Reste au film d’Echevarria de beaux moments isolés, dont la répétition à plat (entre les différentes tribus, c’est quasiment la même scène qui n’en finit pas de revenir) dispense, sur la longueur, une forme pas désagréable d’hypnose.