Un acteur Wasp bon teint qui se frotte à la culture noire des ghettos, il y avait de quoi inquiéter. Mais il émane une telle énergie, un tel esprit de conviction du film que nos pires craintes disparaissent miraculeusement et le projet périlleux devient une farce jubilatoire sur les mœurs politiques américaines.
Jay Bulworth (Warren Beatty) est un sénateur démocrate en pleine campagne électorale qui déprime sérieusement. Il ne croit plus en rien, ni aux idées qu’il défend, ni aux mots qu’il emploie. Son programme se voit symboliquement réduit à un slogan creux répété inlassablement au début du film : « Nous sommes au seuil d’un nouveau millénaire. » Pour en finir, Bulworth décide d’engager un tueur qui sera chargé de l’éliminer. A partir de là, le sénateur qui n’a plus rien à perdre se lâche complètement et Warren Beatty également. L’homme politique abandonne la langue de bois et chacune de ses apparitions publiques se transforme en une attaque en règle du système : financement des partis politiques, mainmise des médias, tout y passe. Bulworth devient un rebelle, un rappeur.

Le langage qui jusqu’ici était figé devient un formidable terrain d’expérimentation. Le sénateur en véritable éponge absorbe les paroles, les mots des autres. Argot, versifications, Bulworth, émerveillé tel un enfant, découvre les multiples possibilités de la parole. Son discours revêt à nouveau un sens et provoque enfin des réactions parmi son auditoire.
L’acteur en roue libre en fait des tonnes, rappe, scratche, délaisse son costume trois pièces pour un survêtement et des baskets. Sans cesse sur le fil du ridicule, Warren Beatty réussit miraculeusement à ne pas l’être. Certes, le film n’est pas totalement dénué d’une certaine démagogie mais le réalisateur ne se complaît jamais dans ce « tous pourris ». Lucide, il préfère le rôle de bouffon à celui de prêcheur.