Evidemment, que le très autoritaire Nazarbaïev, président de la république du Kazakhstan (disons plutôt son proto-dictateur) ait donné de son auguste personne pour hurler au scandale, que sa visite prochaine à Washington soit l’occasion pour lui de faire part de son courroux à Deubeuliou, voilà tout ce qu’il faut à Borat pour assurer son statut culte, bien avant sa sortie. Bouffon pour bouffon, Sacha Baron Cohen vaut bien ceux-là. Le jusque-boutisme du trublion anglais (même en promo, impossible de lui faire enlever son accent d’anglophone petit-nègre), trois images surréalistes d’un village kazakhstanais, ont suffit à Borat pour se faire désirer par-delà le raisonnable. Gros buzz. Pour une fois, assez justifié.

Meet Borat Sagdiyev, journaliste kazakhstanais, qui vous présente son patelin où s’ébattent des pécors consanguins, dégénérés et imbibés de liqueur d’urine de jument fermentée. L’ouverture de Borat est une sorte de visite de zoo, où le touriste ahuri découvre les mœurs locales : lâché annuel de Juifs, concours de prostitution, tape sur l’épaule du violeur officiel du village, un mix de Moyen-Age et d’obscurantisme absolu qui serait, à écouter le film, le lot quotidien de ce vaste pays d’Asie centrale. Sûr qu’il se trouvera quelques abrutis pour prendre pour argent comptant cette caricature folklorique d’un pays qui, s’il est effectivement très rugueux, c’est un euphémisme, en ses campagnes, est aussi pourvu de ressources naturelles (pétrole, uranium, gaz) en telles quantités qu’il est chouchouté par tout le monde (Américains, Russes, Européens, etc.), ce qui permet au sus-nommé Nazarbaïev de mener tranquillement sa politique autocratique. Donc, non : le Kazakhstan est certes un pays très contrasté, mais dans sa principale ville, la verte Almaty, on vous jure qu’y circulent moins de R12 hippo-tractées que de mercedes noires garées devant des immeubles aux loyers parfois aussi chers que ceux pratiqués à Paris.

On quitte rapidement la cambrousse kazakhstanaise, car le brave Borat après cinq minutes de film est envoyé aux Etats-Unis pour rapporter au pays des leçons sur l’Occident. Tourné comme un documenteur, avec caméras plus ou moins cachées et vrais gens mis sur le grill, le film commence vraiment, selon un principe vieux comme Montesquieu, celui des Lettres Persanes : Borat est une farce dont le dindon est surtout l’Amérique, qui, sur un autre registre, rivalise sans mal avec le Kazakhstan en matière de comportements surréalistes. Mais les Kazakhstanais sont archi-caricaturés, reconstitués, alors que les Yankees, non, ils sont juste documentés, le trait est à peine forcé. Ça vaut ce que ça vaut (c’est facile, tous les pays peuvent être ainsi croqués, si l’on prend comme ici ses spécimens les plus aberrants), mais sur ce plan-là, Sacha Baron Cohen fait mouche -un exemple : invité à chanter l’hymne américain dans un concours de rodéo, Borat commence par dédier son chant aux boys d’Irak (vivas de la foule) puis monte crescendo jusqu’à souhaiter que Bush égorge toutes les femmes et tous les enfants d’Irak, et en brûle le sol pour mille ans (vivas de la foule, encore, juste un peu plus modérés, hésitants).

C’est le meilleur du film, et c’est bien plus fin que tous les films d’un Michael Moore réunis, car Sacha Baron Cohen ne fait pas de minauderies, mais fonce dans le tas, et dans le trash, qui est son principal ressort comique. Impossible de résister à l’interminable bagarre cul nu qui oppose Borat à son gros ours poilu de producteur, et qui s’achève par une épique course-poursuite dans les couloirs d’un hôtel. Quelque part entre Groland et MTV, Borat dure juste ce qu’il faut et ne vous prend pas en traître, alors ne le cachons pas, c’est très bourrin, mais, souvent, c’est franchement tordant.