Sans vouloir faire de généralités, on ne goûte que très modérément le nouveau cinéma d’auteur nordique et sa psychanalyse poseuse de l’Occidental solitaire. Réalisé par le scénariste d’Oslo, 31 août, Blind change de service en troquant la toxicomanie pour la cécité, mais continue d’explorer avec complaisance les vicissitudes de la dépression. Ainsi le film raconte-t-il son histoire du point de vue d’une femme qui vient tout juste de perdre la vision : parce qu’elle a peur de repartir à la découverte de l’extérieur, celle-ci enferme le monde dans sa psyché au gré d’anecdotes sinistres tapées sur son MacBook.

De ne plus rien voir l’oblige à imaginer, et d’imaginer l’amène à délirer dans toutes les directions — notamment celle de son gentil mari architecte, à qui elle prête de vilaines infidélités. Le film suit ses fantasmagories vachardes en les tramant aux destins d’autres solitudes, en un long requiem à plusieurs instruments où les lignes séparant les trajectoires de chacun finissent par s’effacer, et les vies de chacun se confondre. Fonctionnel mais jamais très convaincant, ce dispositif en dit surtout long sur la vision qu’Eskil Vogt a de ses personnages : une somme de petits pions à déplacer sur l’échiquier du monde selon ses caprices de moraliste arty.

Barricadé derrière son grand imagier aveugle, le réalisateur cumule les traquenards cruels et saupoudre son film de séquences totalement infâmes, jusqu’à la bouffonnerie (sommet de malaise : un personnage soudainement aveugle se rend à une soirée très chic en tenue de cagole ultra-dépareillée). Contrairement à Oslo, 31 août, Blind sait donc se révéler plutôt drôle. Dommage qu’il soit également hypocrite : le récit passe son temps à déraper puis se rétracter, cumulant les sketchs à courte vue. Quand le film, par exemple, illustre le fantasme de l’un de ses protagonistes, on sent bien qu’il n’est attiré que par le couperet du retour au réel — celui qui révélera qu’il a su piéger son personnage en même temps que son spectateur.

En dépit d’une tonalité plus goguenarde que chez Michael Haneke ou Lars von Trier, Blind se nourrit donc aux mêmes mamelles : humiliation (pour le personnage) et mauvaise conscience (pour le spectateur). Il partage surtout avec les deux Pères Fouettards ce goût pour les idées en plomb. Et ici, c’est à travers la neurasthénie 2.0, ce mal du siècle silencieux dont on peut distinguer les symptômes sur Youporn ou Facebook, que Vogt se fantasme en grand radiologue de l’époque, ne tirant malheureusement de son expérience de laboratoire que des tautologies bon marché, grossièrement illustrées par de désolantes simagrées de mise en scène. C’est tout le paradoxe de ce cinéma à qui plaît trop de donner la leçon : enlevez lui son vernis trash et son existentialisme de salle d’attente, il ne vous reste plus que des canevas de spots Publicis.