Le dernier film de James Toback commence dans une allée de Central Park par un long travelling sur un trio de gamins qui scandent un rap au rythme de leurs foulées. Dans un thriller, ce très beau plan aurait pu aboutir à la découverte d’un cadavre atrocement mutilé. Dans Black and white, le pot aux roses est autrement plus alléchant : on tombe sur un groupe de « jeunes » -deux Blacks au look de rappeur et deux minettes blanches- en pleine séance de touche-pipi. Cette mini-partouze est, croyez-le ou non, le symptôme d’une mutation socio-culturelle. Car, selon James Toback, les ados de la haute et les fils à papa n’ont d’yeux que pour les rappeurs au look de bad guys (le genre bagouzes et quincaillerie en or massif pendant sur survêt Nike), et délaissent les codes de la culture wasp pour le dernier cri du hip-hop. C’est donc ce phénomène de société qui constitue le sujet de Black and white, ou plutôt fournit le prétexte à une amusante exploration du New York trendy, peuplé de rappeurs du « milieu », de gosses de riches s’encanaillant auprès des Ice T, LL Cool J et autres Method Man –RZA est du reste présent dans le film.

Après plusieurs demi-succès (Love in Paris et Two girls and a guy, les derniers en date), James Toback retrouve une certaine verve avec cet étrange cocktail de reportage social, d’improvisation comique et de fiction criminelle. En plus de bons acteurs employés de manière très originale -Ben Stiller en flic ripoux, Robert Downey Jr en homo contrarié par sa femme Brooke Shields, réalisatrice débutante enquêtant sur l’influence de la culture noire sur les jeunes blancs-, on croise des personnalités pour le moins inattendues. Par exemple, Myke Tyson, dans son propre rôle, qui ne se contente pas d’une apparition en forme de boutade, mais s’investit dans une scène étonnante dans laquelle il n’hésite pas à se moquer de ses propres démons. Ou encore, Claudia Schiffer, studieuse thésarde en anthropologie, moins sage qu’il n’y paraît…

Le film tient beaucoup par ce côté « people » un brin décalé, où tout le monde cultive l’art de se donner en spectacle. Une réalisation soignée et gentiment expérimentale (ne pas rater l’excellent générique de fin) servie par une photo impeccable de David Ferrara, contraste avantageusement avec la spontanéité des protagonistes et leur style volontairement débraillé. Pratiquant une écriture à la fois décousue et foisonnante, Toback a compris ce que sont les atouts du cinéma américain indépendant et il ne se contente pas d’appliquer, à petite échelle, les recettes en vigueur dans les studios hollywoodiens. En outre, malgré un côté « hype » et très new-yorkais qui cache des enjeux plutôt bidon, le franc-parler qui anime Black and white oppose une résistance décontractée au puritanisme plouquisant de George Bush. Toujours ça que les Texans n’auront pas.