Tout savoir sur la genèse du super mammifère volant de Gotham City ? C’est possible avec Batman Begins, quatrième volet de la série qui vous dit tout, tout, tout sur le kéké justicier : trauma initial (le petit Bruce Wayne attaqué par des nuées de chauve-souris alors qu’il est tombe dans un puits), tragédie familiale, errance du jeune golden boy devenu vagabond, initiation enfin aux dernières méthodes de combat dans un temple perdu au cœur des montagnes d’Asie centrale. Confier le projet à Christopher Nolan, gros kéké lui aussi depuis les petits coups Memento et Insomnia, c’est en marquer immédiatement les limites (sûr qu’on aura pas un film très personnel) et en même temps lui donner la chance de sa vie : s’émanciper de toute idée d’appropriation pour laisser tourner le mythe en roue libre. Exit la singularité cannibale des films de Burton ou le shaker identitaire du détraqué Schumacher : Batman rendu à sa prime jeunesse.

Effet escompté, un film lisse comme une peau de banane, sur lequel tout glisse et se recompose à l’envi. Pas désagréable, Batman Begins oscille donc entre le minable et le lyrique, le nanar d’action et le mélo pompier, la farce théâtrale et le thriller hi-tech noirissime. La simplicité (euphémisme) de Nolan aidant, l’ensemble se la joue en sprint tranquille, pas un nœud de complexité, pas un court-circuit ne venant contrarier le mouvement en ligne droite du film. Deux choses auxquelles se raccrocher : un, l’équilibre du récit, porté par des personnages très solides et remarquablement caractérisés (le matériau préexistant aidant) ; deux, le sens visuel de Nolan qui trouve là une belle occasion d’exploser. Délesté de tout souci de vraisemblance, le réalisme ampoulé du cinéaste offre quelques visions du plus bel effet, notamment dans la représentation de la ville crépusculaire de Gotham, noire et cruelle, désaffectée au possible, rendue à son statut de décorum morbide et infesté par le mal. Magnifiques, par dessus tout, les plans d’invasion par des milliers de chauves-souris qui transforment le cadre en fulgurant feu d’artifice gothique.

Ce réalisme de l’étrange, seule force déjà d’Insomnia, épouse ici l’imaginaire de la bande dessinée et témoigne d’une innocence parfaitement en phase avec le projet. D’où un film qui roule, au sens le plus basique, malgré ses trouées grotesques et sa fausse complexité (voir comme le problème de la justice et de la condition du superhéros, si finement traité par Sam Raimi dans Spider-man, s’évapore ici dans un brouhaha mêlant leçons de droit, humanisme et apologie de l’autodéfense). Christian Bale est très bon, comme d’habitude, et plusieurs images saisissent durablement : hypnose des vues aériennes de la ville, plans très larges souvent magistraux (les montagnes du début). On accordera à Nolan un statut de grand cinéaste paysagiste (ce n’est pas rien) capable sur un plan de forcer l’émotion par la musicalité de ses mouvements d’appareil. Cela excuse l’illisibilité du découpage des scènes d’action (constante par ailleurs des Batman) qu’excuse de toute façon la propension à la nuit et à l’invisible de la série. Bonne piste, à suivre, pour un cinéma forain archaïque et non dénué d’élégance.