Fantasme kassovitzien depuis la nuit des temps, Babylon A.D., road movie apocalyptique sur fond de redécoupage du monde et du mythe de l’homme nouveau (en fait, adaptation du Babylon babies de Maurice Dantec, mais on voit plus trop le rapport ici), voit enfin le jour. Notre wonderboy expliquant que le tournage fut du genre « commando » parce qu’il lui manquait 30 millions d’euros – pour un budget de 60 -, et que Vin Diesel lui a fait la tronche dès la première prise, deux hypothèses symétriques se dessinent le plus naturellement du monde :
1. L’accident industriel dont on peut apprécier par éclats la naïveté picturale et le panache. Sans jamais être égalées, les références jaillissent par bloc d’images (les panoramas urbains à la Blade runner, les plongées sur foule en mouvements), refoulé d’un homme heureux de tourner, même n’importe quoi, décomplexé de tout cogito.
2. L’accident industriel en version molle, imposture de plus dans la filmo déliquescente d’un cinéaste dont on n’attend plus rien, tout rabougri qu’il est devenu, même en modeste « filmaker » (Gothika).

On vote pour la deux, avec l’épuisement en sus : Babylon A.D. ne dure qu’1 heure 40 mais en paraît trois. L’ouverture où Diesel se bagarre avec trois figurants en treillis, achète un lapin dans la forêt et le vide dans sa cuisine pendant un gros quart d’heure, est sacrément exemplaire. L’éléphant accouche d’une souris, et pendant ce temps-là, aussi bien le film de genre pour cinéphages que le pensum ambitieux, restent à quai. Aux clichés apocalyptiques, s’empile un arsenal en poses du guérillero solitaire (heureusement que Diesel a de la présence) qui, ajoutés aux caprices du cinéaste (une louche de BD, une star pour chaque rôle), écrabouillent un fil narratif riquiqui. Le reste n’est pas mieux : entre le hurlement de mégaphone alter mondialiste (la guerre et le capitalisme, c’est dégueulasse, au ralenti s’il vous plait) et la série B de gros gamin, Kassovitz ne choisit pas, balance tout, sa volonté d’amplitude contrecarrant ses velléités de technicien jappant. Et vice et versa, comme dirait l’autre.

La fin, qui emballe la grande vision mystique du bouquin en dix minutes chrono, met tout le monde d’accord. Lambert Wilson porte un corset en plastique, Charlotte Rampling une robe de chambre à la Star Trek, Michelle Yeoh, caution kung-fu humaniste, est priée de dégager, (une balle dans le ventre, un râle et ciao bonsoir). Kassovitz s’est définitivement perdu, mauvaise nouvelle pour l’entertainment à la française. Il était loin d’être le pire.