Devant le retour plastronnant des Vengeurs, on se prend à rêver l’instauration d’un Grenelle du blockbuster de super-héros. Premier point à l’ordre du jour : la durée aberrante de chaque opus, facilement explicable d’un point de vue industriel (nécessité de faire événement, de contrer les formats courts de l’ère Netflix) mais problématique en terme d’écriture. Parce qu’on ne trouve pas grand chose d’autre, dans cette demie-heure de rab désormais systématique, qu’une poche de gras-double narratif fait de climax à rallonge et d’appendices superflus. Dans ce second Avengers, le phénomène atteint son stade terminal : ce n’est pas Joss Whedon qui orchestre les longuettes prolongations du tournoi fantoche qu’est L’Ère d’Ultron. Si le film déborde, c’est que la machine Marvel, énorme Panzer tentaculaire, a pris les rênes à sa place, et rase sur son passage les lois silencieuses de l’épopée.

Récapitulons : en 2012, le premier volet venait clore sur le tard une décennie de loyaux services rendus à la nation par les super-justiciers. Les meilleurs chevaux de Marvel s’unissaient ainsi contre un fléau global (la destruction de l’Amérique, amorcée par Al-Qaeda et poursuivie par les Chitauris, armée d’aliens bagarreurs). Le grand meeting se trouvait donc un motif noble et lumineux : les Vengeurs étaient les gardiens d’un territoire, soudés contre l’invasion, plutôt qu’un gang de va-t-en-guerre revanchards. L’Ère d’Ultron rejoue cette réunion, en noircissant ses enjeux façon L’Empire contre-attaque (soit le second acte plus tragique et obséquieux, plus romantique aussi – un flirt point ici et là, les monstres se volent quelques baisers). Mais Whedon peine à trouver un terreau neuf où faire repousser sa mythologie : quelle cause pour rassembler les Avengers, cette fois-ci, et renforcer l’équilibre précaire du SHIELD  ? Pour éluder la question, le script s’encombre de vraies-fausses angoisses mêlant géopolitique (par le biais de Stark, sorcier immature qui menace toujours de muer en maître de guerre) et cosmogonie épaisse (grâce à Thor, estafette divine dont le regard omniscient englobe tous les espaces-temps). Derrière ces manigances, Ultron officie comme ennemi public plutôt attachant – James Spader, riant sous une cape de pixels, compose une synthèse parodique des supervilains les plus connus.

Le grand rendez-vous a lieu en somme sous de futiles auspices : il s’agit plus que jamais de se plier à la tyrannie du « fan service« . Whedon invente une foule de nouveaux rapports (affectifs, amicaux, antagonistes) entre les surhommes, et détricote l’intrigue selon plusieurs arcs – le choc Hulk/Iron Man, les errances intersidérales de Thor, etc. C’est d’ailleurs ce que le film réussit le mieux : les rivalités sous-jacentes dignes d’une télé-réalité, où les embûches ne sont écrites que pour mieux révéler les tensions, à grands renforts de punchlines bien senties (Stark au sujet du Captain  : « c’est lui le boss, moi, je paye les factures »). C’est parfois plaisant, mais on est loin de l’émulsion du premier film, où chacun arrivait bardé de son propre héritage esthétique (un peu de Joe Johnston par-ci, un peu de Jon Favreau par là) puis s’en débarrassait au nom d’une belle synergie épique. Ici, la réunion des Avengers évoque plutôt un groupe de cochons d’Inde jetés dans le même enclos bariolé, dont on observe le comportement et les escarmouches d’un oeil distrait.

D’où la durée invraisemblable de l’ensemble, sac de noeuds de micro-récits qui fait revoir à la hausse les talents de monteur d’un Chris Nolan. À l’évidence, ce surplus d’informations relève moins de la patte de Whedon (qui s’est affirmé depuis longtemps comme storyteller efficace) que de la nouvelle politique Disney : ouvrir tous les tiroirs possibles, en donner pour son argent au moindre nerd laissé pour compte, ne surtout pas barrer la route au potentiel de spin-off ou de prequels à venir. Le moindre effleurement de lèvres pourrait ouvrir une intrigue neuve, donc une franchise de plus. Voilà à quoi tient l’empilement inlassable de moments de grâce, trop brouillons pour laisser la moindre chance d’identification : ici, on n’observe pas les Avengers au travail, mais bien la machine Disney occupée à thésauriser. Triste spectacle, un peu égayé par la gaillardise de vieux camarades en collants-capes, dont l’humeur badine rappelle, dans le meilleur des cas, au bon souvenir de Police Academy.