Pour qui s’approche d’Augustine en douceur, c’est-à-dire en prenant le temps d’abord d’en lire le sujet, et puis de mettre en rapport ce sujet avec la première scène, faramineuse (en même temps qu’assez fadement exécutée, mais on y reviendra), il est possible d’espérer un chef-d’oeuvre quasi luciférien sur le désir. Le pitch d’Augustine a tout d’une poudrière – une étincelle et c’est l’explosion en chef-d’oeuvre. L’étincelle ne viendra pas.

Mais d’abord, donc, le sujet : fin XIXe, à la Salpêtrière, Charcot ausculte, dans de grandes salles froides et sombres, des femmes à moitié nues défilant devant lui à la queue-leu-leu. Un jour se présente la belle Augustine, 19 ans, paralysée de la paupière droite, sujette à de violentes crises d’hystérie. Charcot l’hypnotise dans des amphithéâtres bondés de scientifiques et de notables, et parvient à déclencher, sur ordre, ce qui ressemble à d’irrépressibles frénésies masturbatoires. Le médecin, dont la patiente est amoureuse, lui résistera-t-elle ?

La première scène, ensuite : Augustine est une bonne, servant leur dîner à de riches et sévères bourgeois ; déjà ses mains tremblent, les plats de homards oscillent, le vin tangue, Augustine tombe et dans sa chute s’agrippe à la nappe, renversant absolument toute la table pour se livrer, à même le tapis, à une séance d’onanisme convulsif et fulgurant. Idée géniale d’Alice Winocour que de commencer de cette manière, que de faire débuter son film par cette image-là, c’est-à-dire l’image d’un désir révolutionnaire. La nappe tirée, l’argenterie par terre, les gestes obscènes de la bonne, tout cela signifie que le désir d’Augustine – et le désir en général – met en péril l’ordre social. Une telle ouverture, parce qu’elle dit quelque chose d’à la fois essentiel, de très beau et de violent, et aussi parce qu’il s’agit de cinéma de fiction, et pas de documentaire, une telle ouverture requiert absolument que la fièvre d’Augustine contamine la mise en scène. Qu’à la limite, on se couche avec la bonne, qu’on se mette au ras du tapis. Or le point de vue reste plongeant, froid, ordonné, médical et aristocratique. On se demande vraiment pourquoi la caméra se glace comme ça, pourquoi elle reste tellement en surplomb par rapport à son personnage. C’est comme si Augustine était perçue au monocle, avec des crispations de sourcil pour tenir le verre.

Cette froideur, c’est évidemment celle de Charcot, pas encore là physiquement à ce moment du récit, mais déjà présent à travers ce regard clinique, qu’adoptera le film dans son ensemble (jusqu’au surgissement de mini vignettes documentaires, faisant intervenir de vraies internées apportant frontalement leur témoignage). Augustine parle principalement de deux choses : d’auscultation et de possession. Toutes les possessions du film sont cadrées, sécurisées par la même façon médicale d’en rendre compte – et ce à tous niveaux. L’histoire d’amour, par exemple, est d’une tiédeur impensable considérés les désirs mystérieux et fulminants en circulation entre les personnages. Pour Charcot le désir s’ausculte, autrement dit se piste, se trace, et sur ce plan, effectivement, le film fonctionne assez bien, s’agissant de ces marques tracées au feutre sur la peau d’Augustine, ou de ces lents glissements de la paralysie de la jeune fille, d’abord l’oeil, ensuite la main, autant de manœuvres désirantes souterraines.

De fait, le hors-champ se retrouve chargé, pressurisé à fond. Un vrai ciel d’orage, laissant espérer tous les déchaînements possibles, incitant à songer au fantastique (tel plan rappel vaguement Suspiria, tel autre fait l’hypothèse d’une contamination, d’une vampirisation possible – on remarquera un emprunt saugrenu à la musique du Dracula de Coppola), en vain. Dans Augustine, l’académisme fait paratonnerre. Au lieu des petites vignettes documentaires, assez nulles, on aurait préféré plus de convulsions, de sueurs, de cauchemars, d’arcs hystériques, il en fallait à l’excès, il fallait outrepasser ce respect guindé pour la vraisemblance des comportements de Charcot – finalement invraisemblables, d’ailleurs, puisqu’en définitive si peu humains. Charcot c’était la science, mais comme tous les hommes c’était aussi la chair. Pourquoi, par exemple, commencer une scène typiquement érotique (l’éminent clinicien visite sa patiente en pleine nuit), et puis la couper net ? Qu’est-ce qui dans une approche un peu plus lente, et sensuelle, pas forcément plus explicite mais plus érotique, ou douloureuse, serait venu gâcher le réalisme scientifique du personnage ? A quoi sert au juste l’histoire d’amour ?

Dans ce film absolument pas fait pour la demi-mesure, on tombe trop souvent sur des situations un peu creuses, des dialogues moyens, des échanges de regards qui sonnent faux (le tout dernier, notamment, affreux), autrement dit sur des défauts d’incarnation, d’habitation, de possession. Les séances d’hypnose en amphithéâtre, scènes de peep show applaudies pour leur intérêt scientifique, sont amusantes, bien vues, assez incroyables au fond, mais jamais terribles, effrayantes, excitantes ou bouffonnes. Souvenons-nous d’Adjani dans Possession de Zulawski. Augustine : ce film est une bombe qui n’explose pas.