L’avantage d’un film comme celui-là, c’est que tout le monde se rejoint dans l’embarras : le public, la critique, Fabrice Luchini, chacun partage sa gêne, s’échange des rictus crispés. D’où une drôle de chaleur complice qui advient au bout de quelques minutes, une fois l’engeance identifiée. Puisqu’on en est là, mieux vaut rire que pleurer, c’est un peu le sentiment général : voir Deneuve imitant la reine d’Angleterre avec l’adresse d’une Amanda Lear aux Grosses Têtes, c’est un peu comme vivre une fin de fête chancelante et anarchique, les masques tombent, tout devient permis, les possibles s’ouvrent, on rigole bien. Tout le film ressemble d’ailleurs à un joyeux sabordage décomplexé, dont on peut finalement rire ici et là. C’est au détriment du film, certes, mais pas seulement : on dirait par endroits que la fine équipe a conscience de tout ça, et se jette à l’eau avec cette espèce de malice suicidaire qu’on peut prendre à s’humilier en public. C’est ce qui place cet Astérix un cran au-dessus de ses prédécesseurs de sinistre mémoire (cf. nos chroniques d’Astérix et Obélix contre César et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre).

Explicitons : tous les Astérix sont nuls pour des raisons différentes (la filiation Fort Boyard chez Zidi, la ménagerie Canal en plein entre-soi chez Chabat, le cynisme pompier chez Langmann), mais se retrouvent sur un trait particulièrement hypocrite, « le souci de fidélité ». Le vieux mythe croupi était convoqué à l’intérieur de chaque film, et débordait dans leurs promos (celle du second, en particulier, brandissait vainement la banderole de l’adaptation popu ENFIN réussie). Astérix et Obélix au service de sa majesté, lui, au moins, est tellement loin dans la négligence et la trahison qu’il enterre une bonne fois pour toutes ce mirage pour gogos qu’est la l’adaptation « fidèle ». Caster Edouard Baer est pertinent à cet égard : le contrepied est si absurde qu’il rend presque les scènes théoriques, des questions d’interprétation dramatique se soulèvent malgré lui. En le contemplant en dragueur verbeux, déblatérant façon Cravate club pour séduire la Gauloise ou la Bretonne moyennes, on n’est même plus censé voir Astérix, ni même une « variation » autour d’Astérix ; on est tout simplement censé voir Baer avec une moustache fluo, occupé à gigoter et faire le zouave. A son image, tout le film sabote les choses, aggrave partout son cas, à quelques exceptions près (certains prennent leur travail au sérieux, à l’image des artisans Lemercier ou Luchini : les deux brillent, l’une en matrone british, l’autre en Jules César théâtreux). Exit aussi l’assommoir pyrotechnique du troisième volet : le film s’assume comme enchaînement de sketches bon marché, aplanis, laids, et sourit même parfois de sa triste allure, beau joueur. Avec ce renoncement total au principe de « crédibilité », on échappe aux apparats du blockbuster franchouillard, et surtout à l’hommage dégoulinant à Goscinny. De quoi remettre les Zidi ou les Langmann à leur place de « Viollet-le-Duc de l’adaptation », comme dirait Bazin. C’est mieux que rien, bravo Astérix.