Avant la présentation de son Après le sud à la dernière Quinzaine cannoise, on connaissait Jean-Jacques Jauffret comme premier assistant pour, pêle-mêle, Cyril Collard, Jean-Claude Biette ou Bernie Bonvoisin. Premier film donc, traversé comme tant d’autres par le souci prégnant de contrôler chaque plan, de faire signifier le moindre geste. Il faut dire que l’ensemble s’apparente à un château de cartes extrêmement théorique, puisque Jauffret s’attaque au motif du fait-divers fragmenté, autour duquel s’entrelacent les points de vue. Inspiré d’une tragédie survenue en banlieue de Marseille, le scénario suit quatre individus : un retraité sec et seul, un jeune homme, sa copine caissière, la mère obèse de celle-ci. Les enjeux de chacun se croisent dans la fournaise phocéenne : tandis que sa mère subit une opération pour maigrir enfin, la petite caissière se prend de compassion pour le vieux solitaire qui hante sa supérette. Ce dernier, reclus entre ses concertos de Mozart et ses carabines, s’agace de l’errance bruyante des jeunes désoeuvrés qui traînent autour de son perron (et dont fait partie le petit copain de la caissière). Morceaux de quotidien grave et appesanti par le cagnard provençal et les faubourgs désertés, progressivement assemblés pour compléter un sanglant puzzle.

Il y a de la témérité dans la construction pas à pas d’une chronique éclatée, suffisamment fine pour éviter de parodier le concept (parce qu’inévitablement, le calme avant la tempête filmé à travers différents angles et subjectivités rappelle Rashômon et surtout Elephant), et dans la mise en place d’une tension non pas logée au coeur de l’action – tout ou presque s’inscrit dans la banalité – mais dans son écoulement lancinant, étiré par des plans-séquences froidement naturalistes. Les corps sont à l’étroit dans des cadres figés, se succédant dans un espace-temps effroyablement morne, subi plutôt que vécu. Ce découpage draconien de la réalité est en même temps le danger du film, dont la grammaire très chirurgicale menace constamment d’étouffer la fiction et les personnages, réduits quelque part aux cobayes miséreux d’une expérimentation un peu scolaire par endroits. D’autant que le propos se perd à mesure que l’on comprend où mène l’inquiétant labyrinthe. Une fois goûtée la cartographie mélancolique du sud caniculaire et silencieux, assez réussie, on se demande : qu’est-ce qui intéresse Jauffret sinon une approche vaguement philosophique de l’événement ? Les conditions sociales dans lesquels il advient, la déliquescence des petites destinées provinciales ? On croirait qu’il s’agit surtout de ça, tant l’on s’embourbe dans une contemplation presque voyeuse des souffrances et des disgrâces humaines : il y a par exemple quelque chose d’irritant à regarder la boulimie de la mère de façon si frontale, à travers des séquences de déshabillage pseudo-documentaires, qui font mine de « ne pas juger » mais contribuent malgré tout à instaurer un élément plutôt fâcheux, idéal d’ailleurs pour enrober le fait-divers : le sensationnalisme. C’est un comble, mais à force de broder autour du drame avec cette complaisance larvée, Après le sud ferait presque passer son dénouement fatidique pour un non-événement.