L’originalité de la trilogie de Lucas Belvaux est de prendre le contre-pied de ce à quoi le système des suites nous a habitués, jouant le plus souvent sur la prolongation et répétition d’une même histoire, d’un genre parfois réduit à une formule. « Un couple épatant cavale après la vie » (les titres forment une phrase à laquelle on peut s’amuser à trouver un sens) est au contraire une trilogie trans-genre, les trois films se déroulant en quasi-simultanéité, formant une sorte de « package » fictionnel proposé au spectateur en libre service puisque visibles dans le désordre et séparément.

Selon une numérotation indicative Après la vie serait le troisième volet, resserrant l’intrigue sur le couple mystérieux formé par Pascal Manise, un flic bourru et mélancolique et sa femme Agnès, une prof morphinomane. Pour préserver Agnès du manque, Pascal est parvenu à un accord avec Jacquillat, un trafiquant de Grenoble : tant que sa femme ne manque de rien, il ne sera pas inquiété. C’est alors que Le Roux (l’évadé de Cavale) vient régler ses comptes avec la pègre grenobloise, menaçant de près le réseau de Jacquillat. Ce dernier demande à Manise d’éliminer Le Roux, qui refuse, mais Jacquillat cesse de l’approvisionner tant que Le Roux sera en vie. Agnès est pour la première fois depuis quinze ans confrontée au manque…

Selon Belvaux lui-même, Après la vie est autant un mélodrame qu’un « film noir, comme certains films américains des années 50 ou 60, avec ce côté fermé, sans issue ». Il est vrai que le scénario se construit comme un étau autour de Pascal, flic et mari impuissant qui subit le contrecoup de ses compromis, et d’Agnès, la victime, dont la souffrance est le véritable sujet d’Après la vie. Pascal perd la confiance de sa femme pour une raison (il la laisse dans le manque et trahit ses engagements) qui en cache une autre : il s’est amouraché de Cécile, l’ami d’Agnès qui lui a confié la mission de filer son mari Alain, qu’elle soupçonne de la tromper (cf. Un Couple épatant). On peut admirer avec quelle dextérité Lucas Belvaux construit une histoire à partir d’une autre, comment les enjeux des deux premiers films (l’infidélité fictive d’Alain, la cavale de Le Roux) viennent nourrir celui-ci sans que ces liens, ces « passages » d’un film à l’autre ne soient jamais anecdotiques, mais au contraire soutiennent et justifient puissamment ce qu’on nous raconte.

Pourtant, quelque chose manque, un indéfinissable soupçon nous gagne au fur et à mesure que se déroule l’intrigue « imparable », qui ressemble à un alibi parfait impossible à déjouer. Ce n’est pas la mise en scène discutable (tout de même au-dessus du vaudeville anémié d’Un Couple épatant), ni quelques offenses bien légitimes à la vraisemblance qui gênent. Encore moins l’emploi des comédiens et le jeu très harmonisé, intense, de Dominique Blanc et Gilbert Melki -tous deux remarquables. Mais plutôt la relation de Belvaux à ses personnages, peut-être justement trop occupés à devenir « de vrais personnages », à se théoriser ainsi comme « rôle » pour nous surprendre et nous toucher. Il manque à l’écriture de Lucas les aspérités, les écarts qui pourraient la tirer d’un premier degré psychologique parfois conventionnel. Une mise en scène frontale, un visuel pauvre, n’y ajoutent guère de profondeur et de mystère. Il en résulte un bon film sans style, le travail honnête d’un cinéaste qui n’a peut-être pas tout à fait les moyens de ses ambitions. Car au fond, trois films pour passer d’un registre à l’autre, c’est beaucoup quand certains y parviennent le temps d’un seul, et Belvaux, à vouloir ainsi explorer trois genres qui règnent sans partage dans le cinéma hexagonal, démontre de manière un peu stérile leur cloisonnement.