Passage réussi pour Larry Clark, qui prouve avec son deuxième film qu’il est décidément aussi doué pour le cinéma que pour la photographie. Celui qui avait tant choqué (souvent démesurément) avec sa peinture de la jeunesse new-yorkaise dans Kids, change de cap et signe avec Another day in paradise, une œuvre toujours aussi honnête, même si moins dérangeante que son premier long métrage. En choisissant d’adapter le roman noir écrit en prison par Eddie Little, le cinéaste s’éloigne de l’ambiance adolescente de son premier long métrage, mais retrouve paradoxalement ses racines photographiques. Ceux qui connaissent ses travaux remarqueront le lien que Another day in paradise établit avec son album de photos culte Tulsa. De l’aveu même de l’intéressé : « C’était un terrain que je connaissais, qui m’était familier. J’ai senti que je connaissais Eddie sur le bout des doigts ». Comment ne pas trouver évidente la fascination de Clark pour l’histoire de Little : un couple de dealers junkies prend sous sa protection un couple plus jeune afin de s’associer pour vendre de la drogue, jusqu’à une arnaque à l’assurance qui leur sera fatale ?

Si l’on convient que l’intrigue a des airs de déjà vu, notamment avec Drugstore cowboy de Gus Van Sant -avec qui d’ailleurs il entretient de belles similitudes-, Larry Clark a une manière toute personnelle de nous la présenter. Moins rock’n’roll que Drugstore cowboy, plus déjanté que Bonnie and Clyde, aussi « wild » que du Sam Peckinpah, le cinéaste revisite l’univers du polar. Mais son histoire déborde largement le cadre narratif de l’intrigue pour s’attarder plutôt sur les personnages, points clés du film. Ni anges, ni démons, ils vivent dans l’excès, et sont filmés avec frénésie par le cinéaste. Another day in paradise, c’est une question d’ambiance, la même que celle de Tulsa. Des marginaux dans une Amérique intemporelle limitée à quelques décors quasi abstraits, et surtout une mise en scène sans concession. A mi-chemin entre l’ontologie documentariste (la caméra portée à la main qui suit les personnages) et le délire fictionnel (la scène d’euphorie éthylique dans la boîte de nuit).

Comment filmer la soif de vivre et de danger de ses personnages ? Larry Clark semble nous rétorquer : « en la filmant, tout court ». Si le cinéaste continue heureusement à ne pas s’autocensurer -certaines scènes vont à coup sûr déchaîner les foudres des adeptes d’une pseudo morale-, sa mise en scène, quant à elle, développe son propre langage. Plans serrés, morcellement de l’action, caméra mobile, cadrages alambiqués, participent à une logique de la vitesse effleurant souvent la défiguration. Les héros de Another day in paradise ont ceci de commun avec ceux de Kids qu’ils sont avides de vie et d’excès. Tout change très vite, et la mise en scène souligne le refus (de Mel et Sid), et peut-être le manque (de Bobbie et Rosie) de stabilité.

La référence à Kids n’est pas gratuite car Another day in paradise affiche en filigrane la même fascination pour la jeunesse à travers son héros principal (qu’on jurerait tout droit sorti de la première œuvre). Du reste, le film pourrait s’apparenter au récit d’apprentissage d’un jeune homme. Si, au début, l’avenir de Bobbie semble bien incertain, les derniers plans « ouverts » sur l’immensité d’un champ de blé et la luminosité d’un ciel bleu, laissent présager une suite possible. Larry Clark se paye ainsi le luxe de nous offrir une vision toute personnelle d’un mythe du cinéma classique américain -le héros sort grandi de son aventure-, entre déjante et marginalité. Vers une certaine réalité ?