Ana vient de réussir brillamment sa dernière année de lycée et s’apprête à entrer à l’université de Columbia. Problème : sa mère n’entend rien aux études et impose à Ana de travailler. La base du film de Patricia Cardoso emprunte au mélo familial type, transformant sa jeune héroïne en cible de tous les malheurs (l’éternelle petite mère la douleur). Heureusement, l’enjeu d’Ana ne s’arrête pas là : il s’agit pour Cardoso de dresser avant tout un portrait en mouvement, par touches subtiles, de la communauté latino de Los Angeles. Patricia Cardoso pose un regard vivifiant, car dénué de toute fausse pudeur, sur la chronique adolescente traditionnelle.

C’est sur ce point que le film emporte le morceau. La description d’une famille tiraillée entre tradition et modernité, la simplicité un peu triviale des accords et désaccords qui unissent ou confrontent la fille à son père, sa mère ou sa soeur, tout cela est traité de façon sobre et démythifiée, sans recours au folklore, avec la justesse des plus beaux tableaux adolescents. Ana, dans sa dualité même (la petite fille serviable un peu enrobée sous laquelle perce une maturité fatale et séductrice), donne au film son tempo : entre chronique mélodieuse et petits déchirements mélodramatiques issus d’un soap étonnamment échevelé. Le passage de l’adolescence à un âge plus adulte, la transmission, le désir de liberté ne sont jamais traités sur un mode trop grave, mais d’un air toujours fin et distancié.

Dans la plus belle scène du film, strip-tease généralisé des ouvrières d’un petit atelier de couture, la relative démagogie de l’idée (« Real women have curves », le sous-titre du film) est complètement dépassée par une effarante capacité à se libérer de l’habituel puritanisme -bonne conscience du mélo social formaté. Voilà donc un beau premier film, qui s’ajoute à la maigre liste des chroniques adolescentes réussies du type Our song, pour la simplicité du dispositif, ou Thirteen, dans cette belle faculté de provoquer sans la forcer l’empathie du spectateur. On peut regretter l’aspect factice, un peu superficiel, du parcours « conte de fées » de l’héroïne (le triomphe scolaire contre la soumission à la mère, le départ pour la Columbia University), mais cela aussi est un pari : il faut une certaine grâce pour que passe ce genre de pilule. Elle y est.