Nouveau nom du désormais établi jeune-cinéma-argentin, Celina Murga propose, dès son premier film, un double exercice de décadrage / recadrage. Recadrage : Ana et les autres poursuit la même fin que ses compagnons de génération : disons, pour prendre les trois jeunes auteurs argentins les plus emblématiques, Lisandro Alonso pour le goût des trajets, lignes droites, horizons, Pablo Trapero pour le regard calme et distancié sur les ravages de la crise économique et Lucrecia Martel pour l’abandon à l’instantanéité des sensations. Décadrage : tapi sous la ligne claire de quelques références estudiantines disposées comme dans une dissertation (première partie Rohmer, deuxième partie Kiarostami, Carlos Saura pour le titre), à saisir dans ce qui ressemble parfois à un programme de film de fin d’étude récité par cœur, palpite une matière plus secrète, une singularité qui, traversant un paysage connu, perce çà et là.

Il faut commencer par le début, la tranquille assurance de la mise en scène qui, en une poignée de plans, fait exister son personnage, Ana, 20 ans, qui délaisse sa vie portègne pour retrouver sa ville natale, en province. C’est l’été, elle se balade sur la plage, dans la ville, discute avec quelques inconnus. Il n’en faut pas plus pour entendre le tempérament de la cinéaste : cette manière de tourner toute l’attention la mise en scène vers la simple et juste retranscription d’un sentiment contradictoire de familiarité avec le lieu et de solitude, à travers des plans très simples, posés mais pas poseurs. A qui parler, alors qu’on est d’ici, que l’on connaît tout le monde et personne ? Très belle scène sur la plage, lorsqu’une jeune voisine de serviette demande à Ana son journal, puis entame la conversation sur sa vie amoureuse, discussion inattendue dont la caméra et le montage captent sensiblement l’intimité et la distance. Puis Ana marche dans la ville, rencontre ses anciens amis de lycée, s’enquiert de ce qu’est devenu Mariano, son ancien amour. Si elle est revenue pour régler une affaire d’héritage, elle est aussi là pour lui, pour le retrouver. Le film l’accompagne, elle, longtemps avec les autres (ses amis, avec lesquels s’accumulent conversations rohmériennes sur le mariage, l’amour, etc.) puis avec un petit passager (forcément un peu kiarostamien) qui la guide vers Mariano, au seuil de la maison duquel le film s’achève doucement. Les autres du titre, ce sont peut-être cette communauté de passeurs et de messagers, ou toute cette solitude si étrangement peuplée.