Première œuvre pour le cinéma d’un réalisateur et d’un scénariste issus du théâtre, American beauty constitue sans aucun doute la bonne surprise de ce début d’année. A l’intersection de plusieurs genres -la comédie, le thriller et la chronique de mœurs-, le film dessine un entrelacs narratif constitué de péripéties qui sont autant de rebondissements. La première qualité du film réside sans conteste dans son scénario qui parvient à manier avec une facilité déconcertante dialogues brillants et dynamisme de l’action, loin du statisme dont font souvent preuve les auteurs lors de leur passage de la scène au septième art.

Si le film se concentre d’abord sur l’histoire banale d’un quadragénaire possédé par le démon de midi et subjugué par la copine de sa fille, c’est pour mieux parasiter ce lieu commun et petit à petit s’en écarter. Le flash-forward qui inaugure American beauty, nimbé d’un mystère inquiétant, en témoigne. Une adolescente, qui s’avère être la fille du héros, demande à son ami de tuer son père. A partir de là, une question ne cessera de nous hanter : comment Lester Burnham (Kevin Spacey) va-t-il mourir, et surtout, pourquoi ? Afin de résoudre ce mystère, la vie de la paisible et très middle class famille Burnham sera passée au crible par le réalisateur qui rejoint là le ton ironique d’un Raymond Carver quand il décrit les travers de ses contemporains dans ses nouvelles. Sam Mendes nous ouvre ainsi en grand les portes d’un coquet pavillon de banlieue cossue pour en déjouer tous les faux-semblants. Si le thème n’est pas en soi original, son traitement, quant à lui, dépasse toutes nos espérances.

En osant la subversion, Sam Mendes nous brosse un portrait des Burnham dont chaque trait évite les constatations convenues. Il faut ainsi voir Carolyn Burnham (excellente Annette Bening en bourgeoise à la fois agaçante et touchante) surprendre son mari en pleine effusion solitaire pour saisir la liberté du film (qui ne tombe pourtant pas dans le graveleux façon Mary à tout prix). A cela s’ajoute une pléthore de seconds rôles à l’unisson des performances des deux héros (notamment Peter Gallagher en star locale de l’immobilier et Mena Suvari en vedette arrogante du lycée). Le tout orchestré par un réalisateur qui parvient à trouver le rythme adéquat pour chaque situation : s’autorisant des digressions originales quand il filme les fantasmes libidineux de Lester ou, au contraire, précipitant l’action pour la galvaniser. Le dénouement d’American beauty, constitué de plusieurs « comings out », est sans nul doute l’apothéose de cette satire à l’humour noir qui mêle avec bonheur le dynamisme des comédies et les considérations psychologiques, voire philosophiques, des études de mœurs. Un savant dosage d’enthousiasme et de désespoir en somme…