Amen est un thriller historique : il séduira les amateurs de fiction à la réalisation carrée mais ne pourra que décevoir les attentes d’un public attentif aux ambitions réalistes du projet. Car Amen se pose comme le film d’un sujet très obscur de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : les rapports ambigus entre l’Allemagne nazie et le Vatican. La dénonciation de Costa-Gavras ne manque pas d’évoquer le récent travail de Tavernier sur Laissez-passer. Dans les deux films se retrouvent tous les tics d’un cinéma ranci dont les prétentions historiques se plient à des détournements fictionnels assez douteux.

La mise en scène de Tavernier ne pouvait s’empêcher d’héroïser des personnages très éloignés de la réalité historique sous couvert de nostalgie et d’hommage à une époque cinématographique révolue. Dans Amen, la fiction, par manque de courage ou simple carence en faits définis, évite scrupuleusement les scènes fortes attendues : dénonciation de l’antisémitisme de Pie XII ou des comportements troublants de l’Eglise vis-à-vis de la politique allemande. Le Vatican, ici, est décrit sur un mode assez hypocrite : carte postale ensoleillée où se confrontent un jeune idéaliste (incarné platement par Mathieu Kassovitz) et des vieillards moins idéologiquement douteux que profondément lâches et sans scrupules. Limiter la position du Vatican à une armée de bons vivants complètement déconnectés du réel ne suffit pas. Pas plus que ne suffit pour décrire l’ambiguïté du personnage du SS d’opposer à sa situation professionnelle (scientifique digne et zélé) ses idéaux familiaux (un bon père de famille aux vertus bien catholiques). Le métier de Gavras donne corps à un puissant mélodrame intimiste (les tiraillement du « bon » SS entre ses anciens amis, sa famille, ses supérieurs), mais jamais le film n’entre de plain-pied dans la question qu’il soulève : où se trouve la position du personnage dans cet affreux engrenage aux lois d’acier ? Son suicide final, ses airs d’être digne malgré tout, ne suffisent pas à donner corps à la sombre tragédie qui l’écrase.

Amen, malgré son évidente honnêteté, garde le recul bien-pensant de ces films à thèse qui évitent soigneusement de traiter leur sujet à bras le corps. L’Allemagne nazie y apparaît de façon allusive et purement administrative -des uniformes, des cartes, des signatures, des mauvaises blagues racistes entre SS-, se refusant à tout dévoilement frontal de l’horreur. Le parti-pris se tiendrait -le film traitant de l’appréhension encore floue des camps- si Gavras s’en tenait aussi à une description scrupuleuse des actants du Vatican. Jamais pourtant le film ne dépasse le stade de la proposition désengagée sans autre mobile qu’une émotion officielle, pompière, en anglais dans le texte. Le pari de ce genre de film, comme ce fut déjà le cas avec quelques biographies de Vichy oubliées, est tenu : boucher proprement un trou béant de l’Histoire, avec à la fin ce sentiment confortable que son secret reste entier.