All about Steve est un film étrange, parfois proche du nanar, ailleurs curieusement inspiré. La dernière demi-heure est presque affreuse. Sur la société du spectacle, le film a d’abord de belles intuitions, qu’il finit par marteler sans subtilité. Une mise en scène médiocre et une certaine vulgarité, mais aussi des éclats absurdes, une cruauté lucide et inspirée. Un truc invendable et, logiquement, presque pas distribué. All about Steve vaut surtout comme nouveau jalon dans la carrière de Sandra Bullock, qui retrouve son rôle de prédilection et, de manière quasi-masochiste, lui donne un tour beaucoup plus grinçant, presque déplaisant.

Peu d’actrices comiques parviennent ainsi à apposer leur marque, à influer sur la conception du scénario dès en amont, comme peuvent le faire un certain nombre de leurs collègues masculins. Cela vaut aussi bien pour les plus talentueuses : Drew Barrymore ou Kirsten Dunst s’inscrivent le plus souvent dans des projets que n’ont pas nécessairement conçus pour elles des scénaristes hommes plus ou moins attentifs. Il existait à l’évidence, mais cela date un peu, des « Julia Roberts movies ». Aujourd’hui, des « Jennifer Anniston movies », et aussi (et c’est à peu près tout ?) des « Sandra Bullock movies ». Concernant cette dernière, la chose aurait semblé pour le moins improbable il y a encore dix ans: révélée au grand public par Speed, l’actrice enchaînait alors les thrillers où elle imposait un jeu athlétique et carré. Sans être un contresens, c’était certainement du gâchis. Il aura fallu que Bullock, qui en avait manifestement pleine conscience, prenne les choses en main et se décide à produire elle-même Miss detective, pochade brillante qui s’avéra surtout le coming-out tant de fois reporté d’un grand talent burlesque. Elle n’avait jamais manifesté le quart de ce plaisir de jeu : à la fois féminine et garçon manqué, alternant grognements virils et moues à tomber, elle reprenait sur un mode parodique ses prestations passées et s’en libérait, offrant une démonstration imparable de sa richesse de jeu, et d’une fantaisie qui avait échappé à une succession de cinéastes peu avisés.

Bullock était donc une actrice comique, une vraie. Mais d’un genre un peu particulier : elle ne venait pas de la sitcom, encore moins de la comédie romantique aseptisée. Elle n’était pas Meg Ryan – gauche, à côté de la plaque, elle réactualisait la figure de la ravissante gaffeuse tout en l’adaptant et en sachant l’habiter. Il fallait la voir s’essayer à une démarche mannequin entre deux taxis new-yorkais (Miss detective) ; avoir le mal de mer, s’endormir et ronfler (le magnifique L’Amour sans préavis). La quarantaine passée, Bullock était surtout sensiblement plus âgée que ses principales rivales. Le célibat, condition préalable à l’enclenchement de la comédie romantique (boy meets girl), devenait une forme d’incongruité : il fallait le justifier, scénaristiquement, par une forme d’inadaptation au monde et à la sphère du sentiment. Déjà, dans Miss Detective, un garçon la repoussait et elle ne savait répondre que par un coup de poing. Bourreau de travail ou smart girl, il était manifeste dans tous les cas que, sur le plan amoureux, quelque chose clochait, débouchant à l’occasion sur une forme de tristesse que Marc Lawrence aura su particulièrement bien capter.

All about Steve va plus loin. A la suite d’un accident, Bullock est revenue vivre chez ses parents. Elle s’habille bariolé et fait des mots croisés, parle à son hamster et aux inconnus. C’est l’intuition du film, à la fois forte et gênante (car elle témoigne d’une conception un peu unilatérale et conformiste de la normalité): à un certain âge, la fofolle ne peut plus être qu’une freak. De ressort comique, son inadaptation devient un trait pitoyable : ses gaffes too much ne font plus tellement rire. Le thème de la dépression est enfin frontalement abordé. L’actrice ne ménage pas sa peine, se présentant sous les traits d’une furie qui harcèle un type un peu veule et banal. Il serait sans doute souhaitable que les choses en restent là, que pour un prochain film Sandra retrouve un cinéaste capable de calmer le jeu, de lui offrir un rôle plus subtil et moins déphasé. En attendant, comme point limite (soit la déclinaison extrême de ce personnage que l’actrice aura su faire vivre au long de ces dix dernières années), ce premier long-métrage vaut le détour et s’avère dans ses meilleurs moments réellement saisissant.