Autant vous le dire tout de suite, Affliction ne plaira pas à tout le monde du fait qu’il peint un univers austère et clos où baignent des rapports humains difficiles. Dans une petite localité du New Hampshire, un homme du nom de Wade (Nick Nolte) vit de plus en plus mal sa séparation avec sa femme et ne peut voir sa fille qu’occasionnellement. Son échec est renforcé par sa responsabilité d’officier de police qu’il ne prend guère au sérieux, jusqu’au jour où un patron syndical meurt accidentellement au cours d’une chasse en compagnie de son coéquipier. Wade, suspectant ce dernier, décide de mener sa propre enquête malgré les conseils de son frère (Willem Dafoe) et ses problèmes familiaux concernant la mort de sa mère et la violence de son père (James Coburn). Ce dernier ne tardera pas à entraver la nouvelle vie de son fils avec la douce Margie Fogg (Sissy Spacek).

Écrit et réalisé par Paul Schrader, d’après un roman de Russel Banks (publié en 1992), Affliction est un film réussi si l’on se réfère à son atmosphère pessimiste et à ses acteurs méconnaissables. Leurs personnages sont condamnés à leur souffrance intérieure et à leur monde restreint qui les grignotent petit à petit. Pourtant la clef de voûte du film est Nick Nolte qui compose ici certainement son meilleur rôle. Irréprochable et déstabilisant, Nick Nolte est à tour de rôle chien, Christ et « loser », le film évoluant parallèlement entre polar dépouillé et drame pur et dur. Vous l’aurez compris, le cinéma selon Schrader n’est pas celui du divertissement. Le polar n’est utilisé qu’en toile de fond pour mieux renforcer le drame de Wade. Son drame est celui de subir les autres dans une petite ville froide (dans les deux sens du terme), hostile et lui-même puisqu’il est confronté à ses démons intérieurs le liant aux tares héréditaires de son père, terrifiant et indomptable monstre joué par James Coburn. La figure anthropomorphique de Wade souffre d’obstinations aveugles qui le conduisent à s’enfoncer davantage en faisant de lui un « loser » (personnage décalé ne pouvant vivre dans sa société). Ainsi ses rêves et ses espoirs subsistent, mais l’atmosphère du film nous fait ressentir qu’ils n’aboutiront jamais. Le « loser » Wade devient par ce biais Christ. En effet Schrader reprend ouvertement l’icône religieuse du Christ comme le montre très bien une scène où Wade, au milieu de la route bloquant la circulation, debout et bras étendus comme un crucifié, semble s’être figé dans le temps, comme si Sisyphe, à qui on peut également le comparer, avait cessé brutalement de remonter inlassablement son bloc de pierre jusqu’en haut d’une montagne. De la même manière que le réalisateur italien Pasolini (excepté la foi qu’il n’a pas), Schrader transforme ses personnages en icônes religieuses (la mère de Wade a toutes les caractéristiques de la Vierge). Ces icônes religieuses du Christ et de la Vierge se confondent avec l’icône emblématique du cinéma américain, le « loser », de même que les genres concernant le polar et le drame. D’ailleurs Schrader utilise intelligemment les lois du genre de sorte à non pas épater son public, mais à le déstabiliser dans les codes d’un genre qu’il connaît bien.

Attention ! Ce film n’intéressera donc pas tout le monde. Le seul réconfort est celui de revoir la douce Sissy Spacek qui, tel un ange, calme momentanément la violence de Wade. Aller voir Affliction c’est comme se convaincre d’aller se confesser à l’église mais ensuite un miracle se réalise : la rédemption arrive… Enfin, dans ce film, ce n’est plus le silence de ces espaces infinis qui nous effraie mais la violence qui malheureusement semble préfigurer notre monde moderne.