De Kim Ki-duk, on peut apprécier un certain sens de la réalisation, un côté autodidacte rentre-dedans assez plaisant, et surtout les nombreuses trouvailles visuelles qui parsèment la plupart de ses films. Par contre, difficile d’apprécier le côté faux auteur du bonhomme : une manière de faire passer la pire provocation discount pour une vision du monde. Lorsque le premier aspect l’emporte sur le second, cela donne Bad guy, son plus beau film à ce jour. Lorsque l’un et l’autre sont à égalité, on obtient Samaria, film dont la remarquable première partie est rompue par une seconde moitié insupportable de prétention. Quand en revanche le second aspect l’emporte sur le premier, vous obtenez Adresse inconnue : un film (réalisé juste après L’Ile) qui maîtrise si mal son sujet qu’il en fait oublier ses rares fulgurances.

Dans une zone proche de la frontière nord-coréenne contrôlée par l’armée américaine, une poignée de jeunes adultes tente de vivre en harmonie. Vivre en harmonie, ça n’est pas facile chez Kim Ki-duk : tous les personnages ont une tare ou un handicap qui en font autant de cas sociaux. Un métisse qui déteste tuer les chiens pour son méchant patron mais qui adore tabasser ou inciser la peau de sa mère, une femme un peu folle attendant le retour de son amant américain. Le méchant patron, qui sert de fiancé de raccroc à la mère un peu folle, adore quant à lui torturer les chiens qu’il doit livrer morts aux restaurants mais déteste qu’on fasse du mal à sa protégée : ce qui le fait adorer corriger le métisse à coups de bottes dans le larynx. A côté, une lycéenne borgne découvre le plaisir sexuel en compagnie de son petit chien, tandis qu’un jeune homme timide et amoureux l’observe d’un trou dans le mur de sa chambrette.

Cette façon de faire du malaise social coréen une sorte de grand manège canin n’est pas sans rappeler la vision de Danny the dog : à la différence près que le propos (« chien de monde »), s’il est identique, se cherche chez Kim Ki-duk des raisons de se justifier souvent ridicules et aberrantes (d’autant qu’elles ne se montrent pas comme telles : voyez la niaiserie sirupeuse de chaque scène mélodramatique), quand le film de Leterrier se contente de foncer dans le mur avec une hilarante bêtise. D’où cet incroyable revirement : on est mille fois plus ému à la vision frontale de Jet Li en victime débile de la brutalité humaine qu’à celle de tous ces personnages dont la rudesse et l’âpreté résistent mal aux artifices laborieux d’une intrigue complètement artificielle.