Après l’inattendu Kundun, qui semblait être une triste erreur de parcours pour certains et la mort d’un réalisateur pour d’autres, le tant respecté maître du cinéma revient en force avec Bringing out the dead. Un titre significatif (« ressusciter les morts ») qui peut être interprété dès le premier plan du film : entre deux panneaux de générique, l’ambulance fait une entrée fracassante en nous perçant violemment les oreilles avec sa sirène. Quelques secondes suffisent pour ensuite remarquer que ce brutal plan d’introduction était muet, que la soi-disant sirène était en fait un hurlement d’harmonica poussé par la tonitruante musique d’ouverture. Par un tel plan (précédé par un insert indiquant : New York, début des années 90) et un effet de montage si typique, Martin Scorsese effectue une sorte de retour là où l’on ne l’attendait plus : dans son élément, comme s’il nous avertissait d’entrée de jeu : « le Scorsese que vous pensiez mort est de retour ».

Au-delà des apparences que laisse entrevoir cette introduction -tout d’abord rassurante-, une question se pose instantanément : pour un tel « retour en force », où donc le cinéaste a-t-il puisé sa force ? Durant les deux heures qui suivent, plusieurs réponses nous sont apportées : si Bringing out the dead est un film aussi efficace, c’est parce qu’il tire son énergie de sources aussi différentes que l’innovation cinématographique, la simple autocitation ou encore l’expérimentation purement gratuite. Les effets de réalisation s’enchaînant à vitesse grand V, leur signification (leur utilité ?) nous échappe tout d’abord. Certains paraissent justifiés, d’autres pas du tout (notamment cette récurrente et lassante utilisation de la musique à chaque démarrage d’ambulance, « boostant » les images de la manière la plus basique qui soit). Fidèle à ses plans de caméra innovants et techniquement parfaits, Scorsese déploie ici l’artillerie lourde, comme lors de ces étourdissants panoramiques verticaux sur l’ambulance de Nicolas Cage, perdue dans l’immensité des grands boulevards new-yorkais. Mais la force narrative intrinsèque aux complexes procédés de prise de vue (si présente dans ses précédents films) semble ici absente. La caméra tourne sur elle-même, c’est bien joli, mais Scorsese frôle parfois l’autoparodie. Il nous donne du Scorsese gratuit, comme pour s’excuser de ne pas l’avoir fait dans son précédent long métrage. Le réalisateur cite même ses œuvres antérieures, filmant en contre-plongée l’acteur Tom Sizemore lynchant une victime à terre, nous remémorant ainsi ce plan historique et récurrent, habituellement attribué à De Niro (cf. Mean streets, Les Affranchis, Casino).

Malgré tout, Bringing out the dead reste un film respectable. Au beau milieu du chaos total des images interviennent soudain plusieurs scènes intimistes, percutantes, qui, par le contraste créé, réussissent parfois à nous faire reconsidérer ce qui les entoure. La première séquence -une intervention médicale d’urgence dans un appartement-, filmée de manière ultra-réaliste, est par exemple entrecoupée par le monologue intérieur d’un Nicolas Cage décrochant subitement de la réalité. Par ce rapport d’intimité malsaine imposé au spectateur, l’introduction à la folie du personnage principal (un ambulancier habité par les morts laissés derrière lui) est ici radicale. Petit à petit, l’incursion faite dans son univers intérieur torturé se révèle être pour nous une expérience extrême. Le rapport spectateur / personnage apparaît alors comme la plus grande réussite de Bringing out the dead. Ce qui laisse penser, à regret, que ce bon film aurait finalement pu être un chef-d’œuvre…