Quelque part entre l’hagiographie officielle et le biopic officieux, 8 mile creuse encore plus profond l’énigme Eminem en rajoutant une énième facette -celle de Jimmy Smith, son alter-ego cinématographique- au chanteur qui cumule les identités : Marshall Mathers, Eminem et Slim Shady. Librement inspiré de ses débuts à Détroit quand il n’était qu’un jeune blanc-bec essayant de s’incruster dans le milieu du rap dominé par les noirs, le film de Curtis Hanson entretient un rapport troublant avec ce qui n’est pas la réalité mais qui finit par le devenir dans l’esprit des spectateurs. A savoir qu’on ressort du film avec le sentiment qu’Eminem n’est peut-être finalement rien d’autre qu’un fils modèle, attaché aux valeurs familiales, qui ne déverse sa bile que parce qu’il a morflé à cause d’une mère irresponsable. De fait, le maléfique Eminem qui déclarait il n’y a pas si longtemps sa haine des femmes et son dégoût des « pédés » se transforme ici en gentil garçon prêt à tout pour protéger sa soeurette, accumulant les heures sup’ à l’usine pour permettre à sa petite famille de payer le loyer du mobil-home. On a bien du mal à démêler le vrai du faux dans ce qui semble être une tentative de rachat de la part du chanteur en voie de rédemption depuis son duo avec Elton John. Non content de troquer sa célèbre tignasse blond platine pour un châtain nettement plus discret, Eminem achève sa métamorphose en s’affichant gay friendly lors d’une mémorable scène où il prend la défense d’un collègue homosexuel.

Mais peu importe finalement de savoir ce qui s’est réellement passé, 8 mile séduit surtout par la sobriété de son traitement. Car derrière la caméra, Curtis Hanson (L.A. confidential, Wonder boys) réussit l’exploit de donner du crédit à cette version Cosette de la vie d’Eminem. Pas de scènes choc, ni de bagarres filmées en multipliant les angles de vue, le cinéaste transplante sa réalisation ultra-classique dans l’univers du chanteur. 8 mile devient alors un émouvant récit d’apprentissage sur la lente ascension d’un jeune homme en proie au doute et à l’angoisse (tétanisé par le trac, Jimmy Smith vomit et loupe son entrée en scène). Comme le titre du film l’indique, l’objectif de Curtis Hanson est moins de fabriquer un récit à la manière de « Une star est née » que de restituer pleinement le contexte (les amis, l’usine, la ville) qui a précédé et peut-être contribué à forger la célébrité de son héros. Parfois un peu trop sage à force de pondération, 8 mile demeure toutefois une belle tentative de « reconstitution ».