Reconstitution historique d’allure et d’esprit spielbergiens (La Liste de Schindler, Il faut sauver le soldat Ryan), le nouveau film de Jon Avnet est comme le pendant spectaculaire et hollywoodien du sobre et indispensable Sobibor de Claude Lanzmann, sorti en 2001. En effet, comme le documentariste, Avnet traite un thème encore largement méconnu : la résistance juive aux persécutions et à la barbarie nazies pendant les années de guerre ; d’ailleurs, le titre original de son film –Uprising, soit « le soulèvement »- aurait bien correspondu à celui de Lanzmann. Hélas, la comparaison s’arrête là ; les approches des deux films ne sont pas seulement différentes, mais contraires. C’est qu’elles recouvrent un débat éthique et esthétique, déjà vieux -la série-fleuve Holocauste en 1973-, sans cesse réactivée -Amen- et qui tend malheureusement à se banaliser. Presque autant d’ailleurs que l’événement qui le suscite.

Rappelons que deux positions s’opposent : d’une part, les tenants d’une représentation impossible (ou strictement balisée) de la question du génocide ; de l’autre, ceux qui estiment, au contraire, que rien ne justifie cette réserve cinématographique, qu’à vouloir s’empêcher de filmer et de raconter certains événements, on risque de créer l’amnésie du plus grand nombre et d’obtenir l’inverse de l’effet recherché : non pas une conscience plus grande de l’Histoire, mais une ignorance sans limites. Avnet appartient bien sûr au second groupe, et si son film pose problème, c’est justement qu’il assume, sans trop se poser de questions, le programme candide et consciencieux de la grande fresque historique posant pour l’éternité.

Certes, 1943, l’ultime révolte ne traite pas strictement du génocide : l’action ne quitte pas Varsovie et ne montre que le départ atroce des convois, sans prendre le risque de représenter, par exemple, l’intérieur des wagons plombés, risque pris récemment par Costa-Gavras avec de pathétiques conséquences ; de même, les sources qui ont participé à l’écriture du scénario sont irréprochables, qui permettent de raconter dans le plus grand détail la naissance puis le déclenchement de la résistance juive à l’armée allemande ou d’illustrer quelques-unes des pages les plus poignantes de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : le suicide d’Adam Czerniakow, doyen du Judenrat du ghetto de Varsovie, préférant mourir plutôt que d’accepter la déportation de sa communauté ou encore l’héroïsme du docteur Janusz Korczak choisissant d’accompagner les enfants de son orphelinat jusqu’à la mort. Pourtant, l’ensemble du film, qui s’étire sur plus de deux heures trente, peine à sortir de la grammaire connue des reconstitutions hollywoodiennes : le contexte matériel des années de guerre est reproduit avec un souci si scrupuleux du détail qu’on finit par ne plus voir qu’une galerie d’accessoires, musée bien tenu avec pardessus rapiécés, uniformes impeccables, armes d’époque, etc. Les personnages baignent dans une photographie gris-bleu délavée qui a fini par fixer pour l’éternité la teinte et la couleur cinématographique de cette période. Jamais le film ne parvient pas à donner au passé son statut de différence radicale par rapport au présent.

Enfin, en dépit des bornes chronologiques et des cartons explicatifs inscrits à l’écran, l’action n’apparaît jamais que dans la toute-puissance de la fiction hollywoodienne, inventée de bout en bout. Face au spectacle de l’écran qui montre un nazi assassiner pour rien un musicien juif, il faut sans cesse résister à l’assaut des émotions pour se dire enfin : « Ca a été réellement l’Histoire ». C’est cet empêchement à se soustraire à la vague des larmes faciles qui est parfois appelé « banalisation ».