Un an après les attentats du World Trade Center, la sortie de ce film initié par Alain Brigand apparaît comme une entreprise bien artificielle. Si l’idée en soi de laisser libre court à l’expression d’une poignée d’artistes d’origines différentes est passionnante, le projet souffre malheureusement d’un aspect « package » assez difficilement supportable. Première faiblesse du film : mélanger des cinéastes moins différents par leur culture que par leur statut d’artiste. S’y croisent monstres sacrés (Chahine, Gitaï, Imamura) et réalisateurs de pubs (Lelouch, Mira Naïr), artistes engagés (Loach, Sean Penn) et petits espoirs du world cinéma (Tanovic, Makhmalbaf). Soit l’indispensable et l’inutile en un grand fourre-tout oscillant entre petits bijoux et lamentables essais (Lelouch, Naïr).

Seconde faiblesse : un concept fumeux -quel intérêt à cette volonté fétichiste de réaliser les films selon l’idée « onze minutes, neuf secondes, une image » ?- plus un habillage sombrant dans une sorte de gravité officielle bien pompière -graphisme type Champions league sur TF1 et musique pataude. Passé cet aspect, restent les films qui ont pour principal mérite de faire ressortir de véritables enjeux de cinéma malgré la « commande ». Seuls trois d’entre eux ressortent du lot. Celui de Chahine, merveilleuse tentative de renversement des points de vue (le point de vue Arabe comme matrice) qui, par sa légèreté facétieuse, empêche toute confrontation facile entre Occident et Moyen-Orient. Celui de Loach, juxtaposition de deux dates parvenant à décentrer la vision des attentats vers un point de vue plus universel que confortablement mondialiste. Enfin, celui de Sean Penn, dont un plan magnifique -l’ombre des tours qui s’effondrent permettant à un vieux miséreux de redécouvrir le soleil- fait office de fracture dans le paysage médiatique dessiné par l’après-catastrophe.

Le reste est à l’avenant : Gitaï remarquable d’un point de vue technique, moins dans sa tentative de dresser tout en la critiquant une échelle de gravité dans l’horreur ; Inarritu, impressionnant avec un essai expérimental en plan noir malgré une immédiateté empêchant toute porté réflexive ; Ouedraogo surtout, très poétique dans sa façon de suivre les évènements à travers le regard d’une poignée d’enfants. Mais la conclusion d’un tel film est ailleurs : dans le court-métrage d’Imamura, extraordinaire fable dont la puissance esthétique autant que la morale -la guerre comme retour à un état animal- ne s’inscrit absolument pas dans les « données » de l’ensemble (nulle allusion directe à la catastrophe ici). Le film d’Imamura montre à sa façon toutes les limites d’une telle entreprise : à la fois en son coeur et extérieur au projet, il prouve que les plus grands films sur l’horreur n’ont en aucun cas besoin de structures toutes faites, redonnant in extremis à la notion d’artiste la véritable liberté qu’un tel projet ne peut que brider ou conditionner.