Pour sa cinquième édition, le festival Séries Mania a vu les choses en grand. En présentant True Detective en ouverture et Gomorra en fermeture, avec plus de 40 séries présentées entre les deux séances et une durée rallongée de trois jours, le festival du Forum Des Images profite du succès grandissant du format série. Mais l’année 2014 était-elle un bon cru ? Chro s’est déjà penché sur le cas d’école True Detective et a eu droit à une date avec Bryan Elsley. Pendant huit jours, le festival a effectué un tour du monde de la série, en passant bien entendu par les terres promises que sont les Etats-Unis et l’Angleterre mais aussi par des contrées plus lointaines comme le Brésil ou le Canada. Notre palmarès.  

Les ratés

La Marraine, série canadienne dont le pitch sous-entendait une inspiration de la vie d’Ines Barbosa-Hernandez – la « marraine du cartel de Cali » à la tête d’un trafic de cocaïne entre le Canada et la Colombie dans les années 1990 – laissait entrevoir un espoir. Un série de gangsters avec un personnage féminin à sa tête ? Un mélange de Mafiosa et de Weeds peut-être ? Eh bien, non. Une mini-série ratée, trop rapide, trop superficielle, surchargée de rebondissements romanesques et dotée d’un style on ne peut plus plat. Son rythme effréné est digne d’un épisode des Feux De L’Amour : accident, mort, arrestation, trahison…avant même que l’on ait le temps de retenir les prénoms des personnages. Paloma Herosa, Ines Barbosa donc, est le cliché de la cheftaine de famille colombienne, qui prend soin de maman et calme les ardeurs du petit frère tout fou, mais n’a aucune profondeur quant à ses motivations.

Dans la série anglaise Doll & Em, Dolly et Emily sont meilleures amies. Seulement voilà, l’une est une jeune quarantenaire fraichement larguée sans activité reconnue et l’autre est une star de cinéma hollywoodienne. Quand la première devient l’assistante de la deuxième, vous avez tout le pitch de la série Doll & Em. La problématique de l’histoire est tellement évidente que, comme si les scénaristes savaient d’avance qu’une fois la dynamique amie/patron instaurée, il n’y aurait plus rien à dire, le scénario n’en finit pas de commencer, d’introduire le dilemme inhérent à cette délicate relation de pouvoir. Les deux premiers épisodes abordent, comme prévu, la superficialité hollywoodienne, les caprices de starlettes de l’une face aux problèmes de la « vraie vie » de l’autre et les conflits entre fidélité amicale ou réseautage professionnel – mais au bout de 42mn, toujours aucun signe d’arche narrative en vu.

Plaisirs coupables & autres découvertes

Entre déceptions et bonnes surprises, certaines séries hésitent encore. Rectify, la série américaine diffusée sur Sundance TV aux Etats-Unis et bientôt sur Arte s’installe à la tête de la liste non-négligeable de futurs plaisirs coupables. Rectify présente un synopsis qui ne surprend pas par son originalité. Un homme retourne à la civilisation après vingt ans – Daniel Holden n’était pas dans le coma ou sur une île déserte mais en prison pour le meurtre de sa petite-amie. Momentanément innocenté grâce aux progrès de la science, le héros revient dans sa ville natale (ou tout le monde le déteste évidemment) et réapprend à vivre. L’idée, bien que déjà traitée, est bonne mais la profondeur psychologique du personnage principal se situe entre l’extraterrestre E.T et le demeuré Kyle XY. La première heure et demie est en grande partie consacrée à nous expliquer à quel point c’est dur d’utiliser un smartphone et de se refaire une culture cinématographique. Malgré une répartition des personnages secondaires binaire – la sœur surprotectrice qui couche au passage avec l’avocat dévoué, le demi-frère indifférent et indélicat etc – reste que l’intrigue du meurtre est efficace. Aucun indice quant à sa culpabilité n’est concédé aux spectateurs, ajouter à cela le suicide d’un ancien camarade et hop, on a envie de voir la suite.

Vient ensuite l’un des séries héritières de l’esthétique Mad Men. En effet, le plus efficace des résumés de la série russe Le Dégel, qui commence en 1961, serait de encore de penser à un Mad Men moscovite dans le milieu du cinéma. Le Don Draper local, Viktor Khroustaliev est un chef opérateur réputé que les réalisateurs s’arrachent et dont le talent autorise à être désagréable. Il boit beaucoup de vodka et aime les jolies femmes qui le lui rendent bien. Lorsque son meilleur ami scénariste se suicide, il s’associe à un jeune réalisateur fougueux pour donner vie au dernier scénario du défunt. Pour se faire, il va devoir négocier avec le gouvernement pas si libre de Khrouchtchev. On ne sait pas si l’on doit attribuer ce vintage à une volonté de réalisme ou à l’esthétique russe mais à en croire la musique (sérieusement passée), il est facile de pencher pour la deuxième option. Finalement, ce côté poussiéreux a son charme et la vision de Valery Todorovsky aussi. La série reprend l’esthétisme visuel de Mad Men en privilégiant des décors travaillés et essaie d’appliquer les codes de mise-en-scène du cinéma russe en question. Le Dégel (nom que l’on donne à cette époque) parvient à immerger le spectateur dans la sous-culture du cinéma russe des années post-Staline, d’autant plus intéressante que peu traitée jusqu’à présent. Accro du réalisme historique, des reconstitutions politiques et autre ambivalences contextuelles, s’abstenir. Todorovsky assume vouloir dépeindre « l’expression du sentiment » que les Russes ont de cette époque. A suivre, à condition que l’ambition d’un « Mad Men russe » ne se mette pas en travers d’un développement narratif original.

Mekimi, l’une des représentantes d’Israël cette année laisse également perplexe. La série fait partie de cette vague de séries israéliennes réalisées post-Hatufi (adaptée aux USA pour devenir Homeland) aux questionnements identitaires. Adaptée du livre d’une ex-présentatrice télé populaire, Mekimi traite de questions religieuses et politiques. Un couple de libéraux de gauche vivent à Tel-Aviv dans les années 1990, cherchent des réponses spirituelles à des questions contemporaines : peut-on divertir en temps de guerre ? Est-on libre de (ne pas) croire ? Qui est le plus fort de l’amour et de la foi ? Finalement, qu’est-ce que vivre en Israël?  Des interrogations que l’on retrouve en partie dans In Treatment. La situation géopolitique étant extrême, les réponses trouvées sont radicales. Alma et Ben deviennent en cinq épisodes des religieux ultra-orthodoxes, abandonnant au passage carrières, anarchisme, athéisme. Mekimi est une série exigeante, qui demande une implication du spectateur, n’est pas toujours facile à suivre et dont la légèreté du premier épisode disparaît très vite – ce qui n’en fait pas exactement le divertissement idéal.  Un portrait subtil et juste de deux personnages complexes, mais qui ne cherche à aucun moment à faciliter l’accès au spectateur.

Nouvelles addictions à suivre

Au sein du pot-pourri de genres présenté cette année, c’est souvent la comédie qui l’a emporté, à l’exemple de Série Noire, une série méta canadienne que l’on doit à Francois Létourneau et Jean-Francois Rivard. Après une première saison massacrée par la critique, Denis et Patrick, les scénaristes de la série judiciaire La Loi de La Justice se retrouvent contraints d’écrire une saison deux. D’abord abattus, les deux québécois vont décider de révolutionner leur manière d’écrire. Le premier épisode de Série Noire s’ouvre sur le dernier de La Loi De La Justice et justifient les nombreuses scènes d’auto-apitoiement qui suivront. On oublie ici les génies incompris – sujet mille fois éculé – pour s’intéresser aux bien plus drôles loosers sans talents qui vendent de la mouise aux ménagères québécoises. Mais Denis et Patrick sont décidés à s’améliorer et compensent leur manque de talent par un « réalisme d’expérience ». Crescendo dans l’absurde, Série Noire explore et modernise le syndrome de la page blanche en le remplaçant tout simplement par un syndrome de la loose. Si la série était française elle serait probablement taxée de nombrilisme corpo mais c’est le Québéc enneigé que l’on met en scène, et le pathos est poussé à un extrême hilarant qui élimine toute présomption de snobisme.

Cette année, l’humour est aussi brésilien à l’image de FDP (filhos da puta). Une série qui tombe à pic pour France O qui la diffusera pendant la coupe du monde. Juarez Gomez Da Silva, père fraichement divorcé qui lutte pour la garde partagée de son fils, doit aussi lutter contre la haine que lui confère sa profession au Brésil: arbitre de foot. Une toute nouvelle sous-culture à dépeindre pour cette série qui commente à la fois cette passion nationale et dévorante qu’est le foot mais aussi la télévision en général et même l’homosexualité dans le sport. A l’issue de ces 26 minutes de répliques cinglantes et des 10 minutes réglementaires de match de foot par épisode, Juarez finit par se prendre un « filho da puta » fataliste, inéluctable. Même si les raccourcis scénaristiques sont un peu visibles (Juarez se retrouve toujours à arbitrer le match qui le place dans une position délicate), les dilemmes qui en ressortent sont autant de moteurs narratifs amusants. Il faut espérer qu’un enjeu plus grand viendra rejoindre l’intrigue après les trois premiers épisodes.

Finalement, malgré la présence de quelques très bonnes séries étrangères, la part belle revient encore et toujours aux nations de séries que sont les Etats-Unis, l’Angleterre et la France (la France d’Arte en l’occurrence).

Bien que déjà connue de certains – et déjà approuvée par Chro  –  la série Masters of Sex était présentée dans les nouveautés américaines. Encore une fois, ce serait facile de comparer Masters of Sex à Mad Men : ambiance sixties, secrétaires en tailleurs serrés, homme providentiel de la profession (la gynécologie ici) et personnage insondable. Il y a en effet quelque chose d’un Don Draper scientifique chez William Masters mais rien de plus déterminant que le vague écho d’un Dr. House introverti. Dans ces deux premiers épisodes c’est bien l’interaction entre les personnages que l’on nous présente comme le socle de l’histoire : un docteur froid, sérieux, et pourtant parfois tendre et sarcastique à qui l’on associe une secrétaire tout aussi inexpérimentée en médecine que connaisseuse en sexualité féminine. Virginia Johnson représente comme elle peut la liberté sexuelle et l’évolution (lente) de la société américaine. Mise-en-scène avec finesse, cette série sur la science et le sexe alterne réflexion froide et suggestions hot, mais reste toujours très sage même au milieu d’un bordel. A l’image de ce mélange des genres, le comique de situation prime, allié à l’incompréhension hilarante des hommes envers tout ce qui touche à la sexualité féminine. Les premiers épisodes laissent deviner une longue épopée contre les pontes de la médecine, les mœurs traditionnelles mais peut-être aussi contre une relation extra-conjugale entre collègues ?  Si la saison 2 sera diffusée cet été sur Showtime, il faut espérer que les scénaristes ne poussent pas trop vite Virginia dans les bras du Dr. Masters, ce qui couperait l’herbe sous le pied à son personnage de mère célibataire indépendante, ovni au milieu des secrétaires bonnes à marier.

Après Sherlock ou Dr.Who, la BBC continue sur sa lancée et délivre Peaky Blinders, série trop courte qui nous emporte au retour de la première guerre mondiale, dans les quartiers malfamés de Birmingham sur lesquels règne la famille Shelby. Incroyable de style percutant, de photographie soignée, cette série est en plus sublimée par une BO anachronique géniale. Si l’on s’étonne d’une mise en place de l’intrigue et des (nombreux) personnages très rapide dès le premier épisode, facile de rattraper les wagons de cette série de gangsters qui emprunte au western autant qu’au drama, tant le style est accrocheur et le timing calibré. Six épisodes seulement pour cette descente dans les bas fonds du milieu des paris truqués, où même les chics émissaires de Churchill seront bien obligés de se mouiller.

Au climax de l’humour British, Bryan Elsley – le créateur de Skins – s’attaque au monde merveilleux des rencontres en ligne. Dates se penche sur les questions de la rencontre IRL pour des handicapés sentimentaux contemporains, toujours un peu timbrés et rarement complétement honnêtes. Chro a étudié le phénomène. La série passe sur Channel 4, qui nous avait permis de découvrir Black Mirror, autre série à l’honneur pour cette édition du festival.

La France était bien sûr à l’honneur avec Ainsi soient-ils. Arte présentait en effet les deux premiers épisodes – fraichement tournés – de cette très attendue deuxième saison. On y retrouve les séminaristes des Capucins ainsi que leurs dirigeants, en crise de doute, d’autorité, de foi. A noter l’apparition d’une poignée de nouveaux personnages qui devraient renouveler les problématiques religieuses et sociales de la série. Lauréate du prix de « la meilleure série française », ces nouveaux épisodes sont à la hauteur de l’attente qu’Arte a imposée à ses spectateurs. Diffusés en septembre sur la chaine, cette nouvelle saison s’annonce beaucoup plus drôle et profondément ancrée dans l’actualité (du moins, celle de 2013).

Cette 5ème édition de Séries Mania tient donc ses promesses et a livré de quoi alimenter vos discussions jusqu’à la rentrée. Malheureusement il faudra attendre jusque là pour les saisons 2 de Peaky Blinders et Ainsi soient-ils. Celles de Série Noire et True Detective sont d’ors et déjà en cours d’écriture. En attendant l’année prochaine, vous pouvez (re)voir la master class de Nic Pizzolatto.