Autopsie d’un chef-d’œuvre : après un final freudien en diable aussi génial que déroutant, Neon Genesis Evangelion (NGE) s’est payé le luxe d’être à la fois un objet de culte et un boulet pour le studio Gainax embarrassé par tant de controverses. Tentant vainement de rectifier le tir, histoire d’apaiser la fureur d’otakus un poil trop pragmatiques, Gainax s’est empressé de sortir coup sur coup trois longs métrages Evangelion plutôt médiocres puis ce fameux manga adapté librement de la série.

Rappel des faits : mené de main de maître par le génial Hideaki Anno*, NGE racontait le combat acharné entre les humains et des créatures mystérieuses, les Anges, par le biais de robots humanoïdes gigantesques, les EVAs. Une trame qui peut paraître simpliste mais qui soulevait beaucoup de questions existentialo-théologiques qu’Anno laissa sans réponses, préférant privilégier l’étude psychologique de ses personnages.
Une fois la série bouclée -dans la douleur et le stress- c’est Sadamoto, le character designer de NGE qui reprend le flambeau pour l’adaptation en bande dessinée. Or, si Sadamoto est effectivement un illustrateur ultra-talentueux, c’est aussi un mangaka novice. Et débuter sa carrière de dessinateur de BD par une retranscription de NGE, c’est déjà en soi un challenge titanesque. Pas plus effrayé que ça par l’ampleur de l’entreprise et son côté hautement casse-gueule, Sadamoto décide de s’approprier Evangelion et d’en livrer sa propre vision, au risque, évidemment de s’attirer les foudres des puristes.

Chefs d’accusation : à la fois immédiatement reconnaissable -par le dessin- mais aussi souvent très différent de sa version animée -par la trame scénaristique-, le manga Evangelion finit par ressembler à un objet hybride, et un peu vain. Une réappropriation du mythe par un auteur complètement étranger au projet fondateur aurait sans aucun doute donné un résultat plus passionnant. Sadamoto, quant à lui, se contente de subtiles variations dans le déroulement de l’intrigue et la psychologie des personnages. Les hardcore-fans pourront d’ailleurs toujours s’amuser au jeu des différences -elles sont suffisamment nombreuses- et de la comparaison, nettement à l’avantage de l’anime. Sadamoto évacue en 2 pages des scènes très fortes -le premier combat d’Asuka-, brise la magie de la première rencontre entre Shinji et l’EVA 01, et remplace les non-dits allusifs de la série par de lourdes séances explicatives.
Son but avoué étant de rajeunir la cible, il simplifie la psychologie des personnages à l’extrême jusqu’à l’inévitable contresens. De névrosé et psychotique, le héros de NGE, Shinji Ikari passe au statut un peu cliché-cucul d’ado rebelle-rebelle. L’ambiguïté sexuelle des personnages est évidemment passée à la trappe, de l’homosexualité latente de Shinji à l’amour proto-incestueux que lui porte son substitut de maman Misato. Bref, tout est net, propre et sans bavure, à l’opposé du côté subversif et inquiétant de l’œuvre originale.

Verdict : à défaut d’avoir pondu un nouveau chef-d’œuvre, Sadamoto a fait de son Evangelion un manga de base, pas désagréable à lire à condition de n’avoir pas vu la série, mais bien loin d’exploiter toutes les possibilités que pouvait offrir une adaptation de NGE sur papier. Progressant au rythme d’une tortue paralytique, le manga Evangelion voit ses ventes s’écrouler de plus en plus, à tel point qu’on ne sait toujours pas s’il y aura un sixième tome. En fait, on ne le souhaite pas vraiment, sauf peut-être par curiosité. On aurait bien voulu savoir comment Sadamoto aurait pu retranscrire le final d’Evangelion, franchement bricolé et avant-gardiste sur la forme. Mais plutôt que d’avoir une mauvaise surprise, on préfère souhaiter que ça n’arrive jamais…

* auteur, entre autres des déjà bien allumés Gunbuster et Nadia et le secret de l’eau bleue avec le même studio Gainax