Le parcours de Warnauts/Raives est des plus paradoxaux, comme leur participation croisée au dessin et au scénario. Mais aussi parce que leur production alterne des séries et des récits complets, de superbes réussites et des titres affligeants -ce qui explique peut-être qu’ils ne sont connus que d’un public restreint.

Après quelques albums « ébauches », ils créent Lou Cale the famous, une bonne série policière, sans prétention mais au ton très juste. Puis viennent plusieurs récits complets, dont leur chef-d’œuvre L’Innocente. Les albums qui suivent sont plus ou moins réussis, mais ce qui faisait la qualité de leurs toutes premières œuvres devient rapidement un système figé à la trame trop commune. En 1995, ils commencent une série chez Casterman (Les Suites vénitiennes) qu’ils reconnaissent comme « alimentaire ». En effet, Warnauts/Raives ne semblent pas connaître un grand succès commercial et, pour pouvoir continuer à publier des albums, l’éditeur leur a demandé de réaliser une série, formule souvent jugée plus rentable. Si les deux premiers titres restent « corrects », tout se dégrade dès le troisième tome : le dessin se relâche et le scénario s’inspire trop directement des Passagers du vent de Bourgeon. Ultime fait révélateur, ils ne sont pas les scénaristes de leur dernier ouvrage chez Casterman, écrit par Michel Vandam. Le trait, assez proche de la caricature mais sans le bâclé des Suites vénitiennes, ne convainc pas complètement, même s’il montre une intéressante évolution dans leur style. Pour les auteurs si prometteurs de L’Innocente, la déconvenue est grande.

En effet, Warnauts/Raives avaient développé un univers riche et complexe. La thématique de leur œuvre est résolument adulte (problèmes existentiels de l’être humain, relations sentimentales et amoureuses, sexualité). Fascinés par l’Afrique et par la femme, ils intègrent régulièrement des éléments historiques ainsi qu’une riche documentation dans le récit. Et une de leur grande qualité est la maîtrise de la narration, et plus particulièrement de l’ellipse (c’est le temps et/ou l’action compris entre deux cases -il peut durer quelques secondes comme plusieurs années). Mais dans leurs plus mauvais titres, ces caractéristiques sont mal exploitées et rendent l’histoire et son traitement inintéressants et répétitifs.

Alors, que dire de L’Orfèvre ? Par le principe de la série, par la « profession » du héros, par l’époque, il se rapproche très fortement de Lou Cale. Par le traitement de l’histoire, par la psychologie des personnages, il est plus proche des récits complets. Si ce premier titre est prometteur, il ne permet pas de savoir si les auteurs reprennent la régulière et séduisante évolution de leur début, malheureusement interrompue vers 1995. Graphiquement, le dessin est beaucoup moins caricatural que dans Kin, la belle, mais tout de même moins fouillé que dans les œuvres précédentes. Est-ce le signe précurseur d’un renouveau graphique ? Le scénario « policier » et l’intrigue sont plutôt réussis, le lecteur passe un moment agréable à la lecture, et une relecture plus attentive apporte quelques éclaircissements. Ce premier tome pose beaucoup de questions, donne quelques réponses explicites, quelques autres implicites, mais ne dévoile rien du mystère.

Il faut bien sûr espérer que le résultat ne sera pas aussi conventionnel que le fut celui des deux premiers tomes des Suites vénitiennes. Mais surtout, il faut espérer que cette nouvelle série marque le début d’une nouvelle période pour Warnauts/Raives et qu’ils vont reprendre les recherches graphiques et narratives qui sont à l’origine de leurs meilleurs titres. Auteurs les plus prometteurs du début des années 90, et parmi les plus décevants de la fin de cette même décennie, souhaitons-leur de renouer avec l’intelligente inspiration de leur début, pour qu’ils nous surprennent de nouveau comme ils ont si bien su le faire.