Après un premier volume quasi muet, Blame recouvre la parole sans perdre de son austérité blafarde et de sa sourde violence. N’y allons pas par quatre chemins, ce deuxième tome le confirmant définitivement, Nihei est un auteur à surveiller de près, tant son œuvre renvoie des classiques tels que Ghost in the shell ou Gunnm au rayon des livres pour enfants genre « Bibliothèque rose ». C’est certes toujours aussi obscur, voire parfois totalement abscons. Mais qu’importe, Nihei pousse l’expérimentation graphique à un tel niveau qu’on finit par ne plus se soucier d’y comprendre quoi que ce soit. Comme l’architecture de l’immense complexe « souterrain » (l’est-il vraiment d’ailleurs ?) qui sert de décor aux errances de son héros Killy, la structure de Blame n’a ni queue ni tête, ni début ni fin, aucun but, rien. Réduite à la portion congrue, son intrigue s’efface derrière les obsessions graphiques surréalistes de son auteur pour les malformations génético-mécaniques, une torture permanente de la chair, qui n’a vraiment plus rien d’humain. Exception faite de Killy et de sa nouvelle compagne, une scientifique qui passe de l’état de cadavre putréfié à celui de pin-up cyber-androgyne, la majorité des intervenants ne ressemble plus qu’à des poupées morbides et atones. Ni vaguement sexy comme chez Shirow, ni même purement psychopathes comme chez Kishiro, les atroces cyborgs de Blame ne s’embarrassent pas de métaphysique, ne cherchant plus qu’à assurer un semblant de vie concrète en farfouillant dans les poubelles génétiques d’une mégalopole sans âme.

Pour donner « vie » à son univers de putréfaction, Nihei dessine d’un trait brouillé à la maladresse parfaitement maîtrisée, presque touchante de sincérité, s’inspirant à la fois du passif de la production japonaise mais aussi de dessinateurs occidentaux (Giger, Druillet). Son graphisme est inventif, attractif -contre toute attente-, et se démarque du tout-venant manga. Blame est donc un pur chef-d’œuvre, ce que l’on a légèrement sous-estimé lors de la parution du premier tome. Et l’on espère que, par la suite, Glénat aura l’excellente idée de lui faire subir le même ravalement de façade luxueux qu’à Gunnm et Akira. Même s’il est forcément plus hermétique que les deux œuvres précitées, Blame mérite amplement de figurer parmi les membres du club très fermé des grands classiques de la BD japonaise.