L’indulgence a ses limites, dit-on. C’est sans doute la raison pour laquelle on ne rééditera pas les erreurs du passé en continuant à louer TBC. Certes, son précédent album, Fables de Bosnie, traitait d’un sujet plutôt hors normes, la guerre en ex-Yougoslavie, avec un certain talent -il faut dire qu’il n’avait pas beaucoup de concurrence sur ce terrain-là. C’est avec ce vieux fond de bonne conscience politiquement correcte qu’on avait accueilli Fables de Bosnie, avec ce qu’il faut de bienveillance polie pour pouvoir dormir sur nos deux oreilles.

Avec La Cavale du Lézard, plus de problèmes, on nage en pleine fiction, de la pure Série Noire, un genre qui pullule dans la bande dessinée comme les boutons d’acné sur la face de Séverine Ferrer entre deux séances de maquillage. Allons-y franchement, le hic avec TBC, c’est qu’il essaie tellement de se faire passer pour Frank Miller que ça en devient quasiment pathologique. Entendons-nous bien, toute démarche artistique est affaire de recyclage. Mais on ne reprochera pas -enfin… pas trop- à Rabaté d’ingérer Breccia pour nous le recracher avec sa propre sauce. À ce niveau d’excellence, on ne parle pas de « plagieur » mais de « disciple », c’est plus chic. TBC ne maîtrise pas suffisamment son trait pour pouvoir prétendre aux mêmes louanges. Ses planches sont d’une inégalité flagrante, passant sans vergogne d’une toute relative virtuosité à la vulgarité la plus repoussante. Il ne suffit pas d’inonder ses pages d’encre de chine pour épater la galerie. Il faut un dessin puissant qui sous-tende le clair-obscur. Or, la plupart des personnages sont grossièrement caricaturés, et les décors inexistants. L’auteur voudrait-il utiliser les jeux d’ombres et de lumière pour installer une atmosphère ou pour masquer ses lacunes ? On voudrait ne pas douter de la réponse. Comme aucune intrigue digne de ce nom ne vient pallier ce déficit de talent graphique -une vague histoire de trafic d’armes entre l’armée et la Mafia-, comme le personnage principal, amorphe et hideux, n’est guère séduisant, on aura finalement bien du mal à s’attacher à cet album.

Finalement, le plus gros problème c’est que tout ça semble terriblement daté. La Cavale du Lézard, c’est de la BD comme on en faisait il y a vingt ans, à l’époque de Pratt et de Comès -eux aussi passablement pillés-, à l’époque de Pilote et de A suivre. De l’avant-garde d’il y a vingt ans, c’est de la bande dessinée à papa. C’est dire si TBC a un million de trains de retard… Mais nous on préfère définitivement prendre le TGV…