Le plus grand mérite de La Débauche, album par ailleurs raté, est de consacrer la renaissance des éditions Futuropolis, celles-là mêmes qui instaurèrent dans les années 1970-1980 un nouvel esprit au sein de la bande dessinée. Avec à sa tête le couple désormais starisé Etienne Robial (le Monsieur Logo de l’empire Canal +, designer graphique du récent Comix 2000) – Florence Cestac (Grand Prix 2000 de la ville d’Angoulême), Futuropolis offrit un champ d’expression à des auteurs très différents (de Bilal à Menu en passant par Baudouin) et fut un authentique laboratoire d’expérimentation pour l’émergence du 9e art (citons la collection X ou le numéro mort-né de Labo, revue qui préfigura la création de L’Association).

Mais c’est aujourd’hui Gallimard et sa ligne éditoriale inspirée et légère comme une tétralogie wagnérienne qui préside aux destinées de ce label mythique. En témoigne le choix du très populaire Daniel Pennac, hélas le thuriféraire d’une bonne conscience sociale à mille lieux de l’univers noir du meilleur Tardi (de Manchette à l’adaptation de Nestor Burma). Il faut à ce titre convenir de la petite forme actuelle du grand Jacques. Couleurs malheureuses (la couverture est hideuse), difficultés décidément récurrentes de Tardi avec la représentation d’un univers contemporain (en dépit des progrès avoués par l’auteur), La Débauche ne peut guère compter sur un scénario paresseux et convenu (le plaidoyer social en faveurs des « virés, lourdés fusionnés ou mondialisés » se double d’une enquête policière dispensable). Restent à sauver du naufrage une sympathique commissaire de police, octogénaire et hargneuse, et la gracieuse intervention de Loustal, qui prête son bras aux délires fauvistes d’un peintre des rues. Convenons que c’est bien peu. Mieux vaut se replonger dans les entretiens de Tardi avec Numa Sadoul (éditions Niffle-Cohen) pour découvrir l’intimité d’un auteur discret et néanmoins à fleur de peau, authentique anar, frère de sang de Céline et de Malet. A contrario, on en vient à douter douloureusement de la réussite future du ticket Gallimard – Futuropolis…