Cet album signé Stéphane Levallois a quelque chose d’assez surprenant. Ce jeune dessinateur a choisi de nous raconter une histoire tout en images, accompagnée de textes courts entre les chapitres qui annoncent la suite ou viennent clore un tableau. Parabole, fable symbolique, poème à la fois intemporel et mystérieux, Noé met en scène un scaphandrier tirant à bout de bras un immense navire fantôme, arche perdue dans un océan de désert. On pense à la création artistique et au vertige que connaît l’auteur lorsqu’il se trouve devant sa page blanche. Au fur et à mesure qu’il développe son imaginaire et que la machine se met en mouvement, l’artiste s’évade doucement. Il découvre un espace de liberté et une densité de sens et d’images qu’il doit réussir à canaliser. Certaines pages racontent la solitude, l’impression de vivre à côté des autres et le sentiment d’être incompris. D’autres illustrent d’une certaine manière cet étrange phénomène dont est témoin le créateur lorsque son œuvre -on pourrait parler de créature- le dépasse, le vampirise, lui échappe. L’invention est grisante parce qu’elle n’a pas de limites. Elle peut être terrifiante aussi, car la création fait appel à des sensations contradictoires, paradoxe de la conscience. On ne peut créer sans avoir envie de détruire, de déconstruire ce que l’on vient d’édifier. Le scaphandrier passe par toutes ces phases, et d’autres encore.

Le mutisme des personnages n’a rien de gênant. Les dessins parlent d’eux-mêmes. L’album est très vivant. Toutes sortes de bruits retentissent : les pas dans le sable, l’avion qui s’écrase, le vent qui souffle, le chant des sirènes du désert. De même, les jeux d’ombres et de lumières remplacent les couleurs et nous les suggèrent. Le dessin de Stéphane Levallois est précis, les expressions, les regards, les attitudes expriment des sensations parfois profondes, parfois furtives. Chaque détail a son importance. La solitude, la cruauté, l’effroi, l’obsession sont des thèmes que l’on retrouve tout au long de l’album à des degrés différents. Les impressions d’immensité et de démesure nous conduisent progressivement dans une rêverie intime et nous donnent la sensation, une fois l’album refermé, d’avoir fait un voyage au pays de notre propre inconscient.