Seize mois après le lancement du premier volume de l’adaptation de la grande « saga » proustienne en bande dessinée, Stéphane Heuet vient d’achever le deuxième tome, intitulé A l’ombre des jeunes filles en fleur. Première réaction : un ouf de soulagement, non pas motivé par une quelconque inquiétude sur la qualité de cette suite, mais juste sur le fait que la série continue, malgré le débat qu’elle a occasionné. L’exercice est périlleux, le résultat va au-delà de ce qu’on est en droit d’espérer et le public nombreux ne s’y est pas trompé. Stéphane Heuet est désormais lancé dans une aventure artistique qui devrait durer pas moins de douze volumes, autant de rendez-vous proustiens en perspective.
Car ce deuxième épisode de La Recherche en dit long sur l’état d’esprit de Stéphane Heuet et sur ses ambitions. Son album nous communique son bonheur, son enthousiasme, sa fièvre. On y retrouve la même ferveur littéraire que dans Combray, la même volonté de restituer l’univers de cet écrivain sans limites, la même intelligence face à un texte qui demande de fournir un effort. Au fil de l’album, il fait apparaître le personnage principal comme un tout. Marcel est une sorte de métaphore. Il est à la fois Proust, son regard, sa fièvre, ses déceptions, ses succès, ses découvertes, etc. Il est aussi le temps, le souvenir, les lieux eux-mêmes.

En comprenant cela, en proposant des images pour accompagner les mots, Stéphane Heuet, apporte sa touche personnelle à La Recherche. L’adaptation en bandes dessinées trouve naturellement sa justification : dessiner revient à cristalliser une impression, une sensation. Ses descriptions de Balbec, de la haute société en villégiature, des promeneurs anonymes, du bord de mer et de l’arrière-pays normand nous permettent de saisir quelque chose d’impalpable : le souvenir qu’en aurait gardé Proust lui-même, mêlé au plaisir que lui procurerait la narration. L’épisode de la visite de l’église de Balbec en est une illustration claire, limpide, de même que la vision des jeunes filles courant sur le fronton sous le regard intrigué et émerveillé de Marcel. Enfin, Stéphane Heuet s’attaque à cette difficile notion proustienne du temps. Il le fait, notamment par son traitement des couleurs et de la lumière. Sa maîtrise picturale est ingénieuse et l’effet est surprenant. A travers le ciel, les nuages, le vent, les ombres et le jeu constant entre la transparence et l’opacité, le temps circule, se suspend ou, au contraire, défile.